Rapport mensuel de l'Observatoire du football du CIES
n°9 - Novembre 2015
Formation de jeunes en Europe:
une analyse comparative
Drs Raffaele Poli, Loïc Ravenel et Roger Besson
1. Introduction
La formation de jeunes joueurs revêt une importance fondamentale pour le football. Sans formation de qualité, le développement sportif du jeu ne pourrait pas être assuré. Le niveau du spectacle produit s’en trouverait amoindri, ce qui limiterait aussi le potentiel économique de la pratique.
Le savoir-faire en matière de formation varie fortement selon les pays et parmi les clubs d’une même association. Ce Rapport Mensuel analyse la situation dans 31 ligues de première division de pays membres de l’UEFA.
L’échantillon se compose des footballeurs ayant joué des rencontres de championnat depuis le début de la saison en cours pour leur club d’appartenance, ainsi que des footballeurs non utilisés ayant joué dans des championnats adultes lors de chacune des deux saisons précédentes. Les deuxièmes et troisièmes gardiens sont pris en compte même s’ils ne répondent pas à ces critères.
Dans un premier temps, nous étudions la part représentée par les joueurs formés dans le club dans les effectifs des 460 équipes couvertes (chapitre 2). Pour être considéré comme formé dans le club, un joueur doit avoir disputé au moins trois saisons entre 15 et 21 ans dans l’équipe en question. Il s’agit de la définition utilisée par l’UEFA et de nombreuses ligues européennes dans le cadre des politiques visant à valoriser les talents locaux.
Le chapitre 3 présente le classement des clubs ayant formé le plus grand nombre de joueurs évoluant dans les ligues prises en compte. Nous opérons une distinction entre footballeurs jouant pour le club formateur et joueurs évoluant au sein d’une autre équipe faisant partie de l’échantillon.
Le chapitre 4 s’intéresse aux joueurs ayant débuté leur carrière professionnelle après le 1er janvier 2015 dans le club au sein duquel ils évoluaient au 1er octobre de la même année [date à laquelle l’Observatoire du football effectue son recensement annuel depuis 2009]. Nous mettons ainsi en exergue les ligues et les clubs ayant lancé le plus de talents, ainsi que les joueurs débutants ayant su s’imposer comme titulaires dans leurs équipes respectives.
2. L’emploi de joueurs formés dans le club
Au sein des équipes des 31 ligues analysées, la part des joueurs formés dans le club n’a cessé de diminuer entre 2009 et 2015. Elle passe de 23,1% le 1er octobre 2009 à 19,7 % six ans plus tard. Durant cette période, on observe une baisse des joueurs formés localement dans l’ensemble des zones continentales étudiées.
Lors de la dernière saison, l’évolution a été particulièrement négative dans la zone où les équipes étaient traditionnellement les plus enclines à donner leur chance à des jeunes locaux : l’Europe du Nord. La part de joueurs formés au club passe ainsi de 33,3% à 25,8%.
Par contre, un renversement de tendance s’observe en Europe de l’Est (+5,0%). Ce résultat est en grande partie lié à la crise russo-ukrainienne et aux problèmes économiques rencontrés par plusieurs clubs.
Dans quatre des cinq zones prises en compte, le pourcentage de joueurs formés dans le club dans les effectifs n’a jamais été aussi faible qu’en 2015. Tout au long de la période, le niveau minimal a été mesuré en Europe du Sud. Cependant, le pourcentage de footballeurs locaux dans les ligues d’Europe occidentale est désormais presque aussi faible que dans la partie méridionale du continent.
À l’échelle des ligues, la valeur record en 2015 a été enregistrée en Biélorussie. Il s’agit du seul pays où les joueurs formés dans le club représentent plus d’un tiers des effectifs (34.0%). À l’opposé, la part de cette catégorie de footballeurs est particulièrement faible en Turquie (8,3%) et en Italie (8,6%).
Parmi les pays accueillant les cinq grands championnats européens (Premier League anglaise, Liga espagnole, Serie A italienne, Bundesliga allemande et Ligue 1 française), l’Espagne est le seul où le pourcentage de joueurs formés au club dépasse 20% [pour les données concernant l'ensemble des ligues, voir l'Atlas digital].
D’une manière générale, les joueurs formés dans le club ont un taux d’emploi plus faible que les footballeurs formés ailleurs. Cette situation est principalement liée à l’âge significativement inférieur des premiers (23,5 ans) par rapport aux deuxièmes (26,6 ans).
Ainsi, de début juillet à fin octobre 2015, les joueurs formés dans leur équipe d’appartenance n’ont disputé que 16,3% des minutes de championnat, alors qu’ils représentent 19,7% des effectifs. Les écarts varient considérablement entre les ligues. En Croatie, les footballeurs formés au club ont un temps de jeu pratiquement égal aux autres joueurs. À l’autre extrême, à Chypre, les premiers jouent en moyenne plus de deux fois moins que les seconds.
La présence de joueurs formés localement diffère aussi radicalement entre les clubs. Cette catégorie de footballeurs représente au moins la moitié de l’effectif dans 24 équipes. Le plus fort pourcentage parmi les 460 clubs analysés est mesuré pour le FK Gomel : 91,7% des joueurs.
Douze ligues sont représentées parmi les 24 équipes dont au moins la moitié de l’effectif est composé de joueurs formés au club. La majorité d'entre elles se trouvent en Europe centrale.
Dans 19 clubs seulement, les footballeurs formés localement ont disputé la majorité des minutes lors des matchs de championnat joués entre début juillet et fin octobre 2015. Parmi ceux-ci se trouvent notamment trois équipes faisant partie des cinq grandes ligues européennes : Olympique Lyonnais (55,1%), Athletic Bilbao (53,1%) et Real Sociedad (50,1%).
A l’opposé, 32 clubs ne disposent d’aucun joueur formé en leur sein parmi les membres de la première équipe et 61 n’en ont aligné aucun. Parmi les 32 clubs, nous trouvons des équipes appartenant à deux tiers des ligues analysées (19 sur 31).
3. Les meilleurs clubs de formation
L’expertise en matière de formation ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Le succès dans un domaine aussi complexe ne s’improvise pas. Il dérive de la mise en place d’une politique cohérente de la part des clubs, des ligues et des associations nationales, ainsi que des compétences techniques et pédagogiques du personnel engagé.
Le classement proposé ci-dessous met en exergue les équipes ayant formé le plus grand nombre de joueurs présents au 1er octobre 2015 dans la première équipe d’un des clubs analysés. Le classement permet de distinguer les joueurs évoluant dans leur club de formation des footballeurs sous contrat avec d’autres équipes de l’échantillon.
De même, nous indiquons le pourcentage moyen de minutes que les joueurs formés par un club donné ont disputé lors des rencontres de championnat entre début juillet et fin octobre 2015. Cet indicateur traduit le niveau d'emploi des joueurs formés par l’équipe concernée.
Partizan Belgrade pointe en tête du classement des clubs formateurs à l’échelle des 31 ligues. L’équipe serbe a formé 78 joueurs présents dans l’échantillon étudié. Treize évoluent à Partizan, alors que 65 jouent pour une autre équipe de première division des championnats pris en compte.
Entre les 20 équipes ayant formé le plus de joueurs, le meilleur taux d’emploi a été mesuré pour les footballeurs formés à Dinamo Minsk : en moyenne 57,7% des minutes de jeu entre juillet et octobre 2015. Le taux d’emploi est supérieur à 50% aussi pour les footballeurs formés à Sparta Prague, Real Madrid, Olympique Lyonnais, Porto et Ajax.
Si on limite l’analyse aux cinq grandes ligues européennes, l’équipe ayant formé le plus grand nombre de joueurs est Barcelone (44). Par contre, le club ayant le plus de footballeurs formés localement dans son effectif est Athletic Bilbao (18).
Parmi les 20 premiers clubs formateurs, Monaco devance nettement les autres équipes sur le plan du pourcentage moyen de minutes de championnat disputées par les joueurs formés : 64,8%. Le taux d’emploi est également supérieur à 50% pour les footballeurs formés à l’Olympique Lyonnais, au Real Madrid, à Real Sociedad et au Bayern Munich.
4. Jeunes débutants en 2015
La notion de jeune débutant désigne les footballeurs sans expérience professionnelle préalable ayant débuté dans leur club d’appartenance depuis le 1er janvier de l’année étudiée. Pour être pris en compte, un joueur doit être toujours présent dans l’effectif de la première équipe au 1er octobre, date du recensement annuel de l’Observatoire du football.
En 2015, les clubs analysés comptent en moyenne à peine plus d’un débutant. Aucune tendance significative n’a été mesurée depuis 2009. A l’exception de 2012, les valeurs les plus faibles ont toujours été enregistrées en Europe méridionale. Ce résultat confirme la forte réticence des équipes situées au sud du continent à lancer des jeunes sans expérience professionnelle préalable.
A l’échelle des ligues, la valeur la plus élevée en 2015 a été mesurée en Ukraine : 2,29 débutants par club [pour les données concernant l'ensemble des ligues, voir l'Atlas digital]. Cette situation est en grande partie liée au nombre record de débutants lancés par Metalurg Zaporizhya : 11 joueurs.
Au total, 21 équipes ont lancé au moins quatre joueurs sans expérience professionnelle préalable depuis le 1er janvier 2015. Elles se répartissent dans seulement 12 des 31 ligues analysées. Le plus grand nombre se situe en Biélorussie et en Serbie (3 clubs).
A l’échelle des joueurs, le débutant ayant disputé le pourcentage de minutes le plus élevé entre juillet et octobre 2015 est Mario Piccinocchi de Lugano (Suisse). Il s’agit d’un joueur italien formé à Milan. Aux 20 premières places se trouvent cinq joueurs évoluant en première division néerlandaise.
L’ensemble des débutants présents dans le classement ci-dessus ont toutes leurs chances d’accomplir une carrière de haut niveau. La possibilité d’accumuler de l’expérience de manière précoce est en effet un critère déterminant pour réussir dans un milieu aussi compétitif que le football professionnel [A ce propos, vous pouvez vous référer au Rapport Mensuel numéro 2].
Bien que personne ne conteste que la jeunesse constitue l’avenir du football, ce Rapport Mensuel montre que les clubs de première division européens sont de moins en moins courageux lorsqu’il s’agit de donner leur chance à des jeunes joueurs formés localement.
Rapport mensuel n°9 - Novembre 2015 - Formation des jeunes en Europe