Rapport mensuel de l'Observatoire du football du CIES
n°10 - Novembre 2015
L'effet de l'âge relatif:
un problème sérieux dans le football
Drs Raffaele Poli, Loïc Ravenel et Roger Besson
1. Introduction
De nombreuses études ont montré l’impact de l’âge relatif des sportifs sur les chances d’accomplir une carrière professionnelle. Les compétitions de jeunes étant généralement organisées sur la base de l’année de naissance, les athlètes nés en janvier, février ou mars sont clairement avantagés par rapport à ceux nés en octobre, novembre ou décembre de la même année.
En football, les joueurs cumulant les handicaps d’une naissance à la fin de l’année et d’un développement physique tardif n’ont à l’heure actuelle que peu de chances d’accomplir une carrière de haut niveau. L’effet de l’âge relatif a des conséquences négatives non seulement pour les joueurs eux-mêmes, mais aussi pour le football dans son ensemble, dans la mesure où il conduit à d’importants biais de sélection.
Ce Rapport Mensuel analyse l’impact de l’âge relatif sur un échantillon de 28’685 joueurs ayant évolué dans 31 ligues de première division européennes depuis la saison 2009/10 (chapitre 2). Nous nous intéressons ensuite aux différences constatées par origine (chapitre 3) et nous testons l’impact de l’âge relatif en fonction de l’âge des joueurs (chapitre 4). Finalement, nous nous intéressons au biais de sélection lié à la date de naissance en prenant en compte le type de club où les joueurs ont été formés (chapitre 5).
[Ligues couvertes: Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Biélorussie, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Ecosse, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Israël, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie et Ukraine.]
2. Un biais de sélection important
Selon les données d’EUROSTAT, les naissances en Europe se répartissent équitablement sur l’arc d’une année. En d’autres termes, il n’y a pas plus de personnes qui naissent un jour ou un mois plutôt qu’un autre. Dans la mesure où il n’y a pas de raison de penser que la date de naissance influence le talent d’une personne pour une activité donnée, il est légitime de s’attendre à ce que le nombre de joueurs de football professionnels soit le même indépendamment du jour ou du mois de naissance. Or, il n’en est rien.
La répartition de joueurs par date de naissance est clairement déséquilibrée à l’avantage des footballeurs nés lors des premiers mois d’une année. Dans l’échantillon pris en compte, il y a presque deux fois plus de joueurs nés en janvier qu’en décembre. Les footballeurs nés lors des trois premiers mois de l’année représentent 30,5% du total, alors que les joueurs nés entre octobre et décembre ne représentent que 19,3% des effectifs.
La Figure 3 illustre également la sur-représentation des joueurs nés dans la première partie de l’année. Les personnes nées lors des 23 premières semaines sont systématiquement plus nombreuses parmi les footballeurs professionnels que dans la population. Celles nées après la 33ème semaine sont par contre systématiquement sous-représentés.
3. L’Angleterre, un cas unique
Le jour de naissance moyen d’un citoyen lambda se situe en milieu d’année, à savoir le 1er juillet. Pour un footballeur professionnel, par contre, ce jour est le 13 juin. D’importantes différences existent en fonction de l’origine nationale des joueurs. Le tableau suivant présente le jour moyen de naissance des joueurs originaires de pays comptant au moins 300 représentants au sein des premières divisions européennes depuis 2009.
L’impact de l’âge relatif le plus important a été mesuré pour les joueurs turcs. En moyenne, ils sont nés plus d’un mois avant le 1er juillet, jour de naissance moyen d’un citoyen lambda. Le biais de sélection lié à la date de naissance est particulièrement fort aussi en Russie et en Ukraine. Seul un pays parmi les 32 pays comptant au moins 300 représentants dans l’échantillon étudié ne semble à première vue pas touché par le biais de sélection. Il s’agit de l’Angleterre.
La spécificité anglaise s’explique par le fait que les classes d’âge dans le football sont calquées sur la date retenue dans le système scolaire, le 1er septembre, et non pas sur le 1er janvier comme dans les autres pays.
[Bien que notre analyse suggère que ce ne soit pas le cas, l’équipe de recherche de l’Observatoire vous prie de nous signaler si d’autres pays prennent une autre date que le 1er janvier comme référence. Merci de nous écrire à football.observatory@cies.ch]
Au final, bien que de manière différente par rapport aux autres associations étudiées, l’âge relatif a un impact aussi en Angleterre. Une analyse par quadrimestre montre en effet que les joueurs nés entre septembre et décembre (39,9%) sont surreprésentés par rapport aux footballeurs nés lors des quatre premiers mois d’une année (35,7%) - qui restent avantagés dans le cadre des sélections nationales junior - et, surtout, par rapport aux joueurs nés entre les mois de mai et août (24,4%).
4. Un effet s’estompant au fil du temps
L’impact de l’âge relatif est particulièrement fort lors des premières années de carrière professionnelle. Pour les joueurs les plus âgés, le jour moyen de naissance tend à s’approcher de celui d’un citoyen lambda. Ainsi, un joueur de 21 ans ou moins est né en moyenne le 9 juin, tandis qu’un joueur de plus de 31 ans est né en moyenne le 23 juin.
Ce résultat confirme l’existence d’un biais de sélection lié au mois de naissance. Les joueurs nés en début d’année bénéficient d’un avantage comparatif en termes développement et ont dès lors un accès plus facile au marché du travail du football professionnel. Au-delà de 23 ans, un double mécanisme se produit : les joueurs précoces n’ayant pas su confirmer les attentes placées en eux sont progressivement évincés au profit de footballeurs avec un plus fort potentiel, qui avaient dans un premier temps été écartés. L’effet de l’âge relatif tend ainsi à s’estomper, sans disparaître toutefois complètement.
5. Les plus grands clubs formateurs comme mauvais élèves
L’impact de l’âge relatif agit aussi différemment en fonction de la typologie du club ayant formé les footballeurs. L’analyse proposée opère une distinction entre, d’une part, les joueurs issus des clubs ayant formé au moins 50 footballeurs présents dans l’échantillon et, d’autre part, les joueurs formés dans des clubs moins « productifs ». Les 52 clubs faisant partie de la première catégorie sont pour la plupart des équipes dominantes dans leur pays ou région.
Ce résultat montre que l’effet de l’âge relatif est particulièrement fort au niveau des principaux clubs formateurs. Cela suggère que lorsqu’une équipe a le premier choix en termes de sélection de jeunes, elle tend d’autant plus à avantager les joueurs ayant un avantage comparatif en termes de développement. La sur-représentation de ces derniers dans une équipe de jeunes permet en effet d’optimiser les chances de succès sur le court terme.
Selon toute vraisemblance, l’impact de l’âge relatif dans la sélection de footballeurs est lié à l’importance attribuée aux résultats dès le plus jeune âge. Gagner stimule en effet l’orgueil des clubs et aide les entraîneurs dans leur carrière personnelle. Bien que les formateurs et les dirigeants insistent souvent sur le fait que les résultats chez les jeunes ne sont pas la priorité, notre analyse suggère que beaucoup reste à faire pour que cette affirmation se traduise dans la réalité.
Il serait grand temps que les organisations en charge du développement des joueurs et du jeu comme la FIFA, les Confédérations, les associations nationales, les ligues et les clubs prennent la question de l’effet de l’âge relatif plus au sérieux.
L’élimination ou, du moins, la réduction des biais de sélection liés à la date de naissance et au niveau de développement physique permettrait en effet de renforcer la méritocratie dans le football. A long terme, ceci aurait certainement un effet bénéfique aussi sur le niveau du spectacle que les équipes sont à même de proposer, ainsi que sur l’équilibre général des compétitions.
Rapport mensuel n°10 - Décembre 2015 - L'effet de l'âge relatif