Rapport mensuel de l'Observatoire du football du CIES
n°13 - Mars 2016
L’utilisation de jeunes footballeurs
en Europe
Drs Raffaele Poli, Loïc Ravenel et Roger Besson
1. Introduction
Dans le Rapport Mensuel de novembre 2015, nous avons montré que les clubs de première division européens sont de moins en moins enclins à utiliser des joueurs issus de leurs centres de formation. Cette nouvelle étude vise à comprendre si la baisse des joueurs formés au club va de pair avec une diminution du temps de jeu des footballeurs de moins de 22 ans ou si elle reflète plutôt la plus forte mobilité nationale comme internationale des joueurs dès leur plus jeune âge.
L’échantillon se compose de 31 ligues de première division de pays membres de l’UEFA. Pour l’ensemble de ces ligues, nous avons étudié le pourcentage de minutes de championnat disputées par les joueurs de moins de 22 ans entre le 1er juillet 2009 et le 31 décembre 2015. Un joueur fait partie de la catégorie prise en compte jusqu’au jour précédant son 22ème anniversaire.
L’analyse se focalise dans un premier temps sur l’ensemble des ligues étudiées, pour ensuite présenter les résultats à l’échelle des cinq zones continentales identifiées. Dans les deux cas, nous analysons le pourcentage de minutes disputées par les joueurs de moins de 22 ans au total, ainsi qu’en fonction de leur origine (nationale ou étrangère). Enfin, nous analysons plus en détail la situation ligue par ligue et présentons les valeurs extrêmes mesurées à l’échelle des clubs.
2. Les jeunes nationaux en baisse
Lors de la période analysée, les joueurs de moins de 22 ans ont disputé 14,6% des minutes de jeu dans les 31 ligues couvertes par l’étude. En moyenne, sur 11 footballeurs alignés par les équipes prises en compte, 1,6 n’avaient pas encore fêté leur 22ème anniversaire au moment de la rencontre.
Aucune évolution significative n’a été constatée entre le 1er juillet 2009 et le 31 décembre 2015. La plus faible présence de jeunes joueurs a été observée lors du semestre entre janvier et juillet 2015 : 13,7% du temps de jeu (fig-1). Le plus fort pourcentage a par contre été mesuré entre juillet et décembre 2013 : 15,2%.
Si, dans l’ensemble, le taux d’emploi des jeunes ne varie pas, l’analyse de l’origine des joueurs de moins de 22 ans permet de mettre en exergue une évolution significative. Lors de la période considérée, le pourcentage de minutes disputées par les jeunes nationaux a diminué à un rythme certes modéré, mais constant: de 12,0 à 10,7% entre le premier et le dernier semestre de l’analyse. Le niveau le plus faible a été enregistré lors du premier semestre de l’année 2015: 10,4%.
Bien que toujours nettement plus limitée, la présence sur le terrain de jeunes étrangers tend par contre à augmenter : de 2,8% à une valeur record de 3,8% entre le premier et le dernier semestre analysé. Si, en 2009, moins d’un cinquième des minutes des joueurs de moins de 22 ans étaient disputées par des footballeurs importés (19,0%, fig-2), cette proportion est désormais supérieure au quart (25,9%).
Cette évolution traduit l’intensification de la mobilité internationale des joueurs dès leur plus jeune âge. Entre 2009 et 2015, l’âge moyen de première migration des footballeurs présents dans les 31 ligues étudiées est passé de 22,2 à 21,7 ans. Le pourcentage de joueurs partis à l’étranger avant de fêter leur 22ème anniversaire parmi ceux ayant migré au cours de leur carrière a augmenté de 44,9 à 49,6% (fig-3). Les joueurs partis à l’étranger avant 18 ans représentaient 8,0% des migrants en 2009 et 9,8% six ans plus tard.
3. La situation du Sud au Nord de l’Europe
L’analyse par zone continentale permet de mettre en exergue d’importantes disparités spatiales. Entre juillet 2009 et décembre 2015, les joueurs de moins de 22 ans ont disputé presque un cinquième des minutes de jeu au sein des équipes de première division d’Europe centrale et du Nord (fig-4). Cette proportion n’a été que d’environ un dixième en Europe du Sud et de l’Est. Les ligues d’Europe occidentale se trouvent à mi-chemin entre ces deux extrêmes.
Lors de la période étudiée, la présence sur le terrain de joueurs de moins de 22 ans a légèrement diminué seulement en Europe du Nord (de 18,8% lors du premier semestre étudié à 16,9% lors du dernier) et en Europe de l’Est (de 12,2% à 10,5%). Par contre, le taux utilisation de jeunes nationaux a baissé partout à l’exception de l’Europe de l’Ouest, où il est resté stable à 10,6%.
Dans toutes les zones continentales analysées, la relative stabilité dans le taux emploi de joueurs de moins de 22 ans est liée à l’augmentation des minutes disputées par des jeunes footballeurs importés de l’étranger. Ces derniers représentent une part conséquente des jeunes utilisés par les équipes de première division surtout en Europe du Sud et en Europe de l’Ouest (fig-5).
Entre 2009 et 2015, l’augmentation de la part de minutes disputées par des jeunes étrangers par rapport au temps de jeu total des joueurs de moins de 22 ans a été particulièrement forte en Europe du Sud : de 22,2% lors du premier semestre étudié à une valeur record de 37,3% lors du dernier (fig-6). Cette évolution révèle la tendance des clubs d’Europe méditerranéenne à favoriser les jeunes joueurs étrangers au détriment des footballeurs disponibles sur place.
En Europe du Nord, les jeunes joueurs nationaux sont encore relativement nombreux. Néanmoins, la présence relative des footballeurs de moins de 22 ans importés de l’étranger a aussi fortement augmenté pour atteindre un pic de 28,3% du total des minutes disputées par les jeunes joueurs lors du dernier semestre analysé. Entre juillet et décembre 2015, des nouveaux records ont été enregistrés dans l’ensemble des zones à l’exception de l’Europe de l’Est.
4. Une analyse par ligue : les plus et les moins
L’analyse par ligue permet de classer les championnats pris en compte en quatre catégories en fonction du taux d’emploi des jeunes (fig-7). La première catégorie se compose des ligues où les joueurs de moins de 22 ans ont disputé au moins 20% du temps de jeu entre juillet 2009 et décembre 2015. Ce pourcentage varie entre 15 et 20% pour la deuxième catégorie de ligues, entre 10 et 15% pour la troisième et se situe à moins de 10% pour la quatrième.
La Croatie accueille la ligue dont les clubs ont le plus utilisé des joueurs de moins de 22 sur l’arc de la période étudiée. Cette catégorie de footballeurs a disputé 28,7% du temps de jeu total : 26,3% pour les nationaux et 2,4% pour les étrangers. Le part des jeunes joueurs sur le terrain dépasse un quart dans un seul autre championnat analysé : la première division slovène (27,8%).
Parmi les ligues où les footballeurs de moins de 22 ans ont disposé de plus de 20% du temps de jeu ne figure aucun championnat d’Europe du Sud ni d’Europe de l’Est. La première division néerlandaise est la seule ligue d’Europe occidentale faisant partie des championnats avec le plus de jeunes sur le terrain.
D’une manière générale, la part des minutes disputées par les joueurs nationaux de moins de 22 ans est plus faible parmi les équipes des championnats les plus compétitifs. Une corrélation statistiquement significative existe entre le rang moyen dans le classement UEFA entre 2009 et 2015 et le taux d’emploi des jeunes nationaux (fig-8). Cependant, le nuage de points permet de mettre en exergue des exceptions notables.
Le taux d’emploi de jeunes joueurs nationaux dans la ligue néerlandaise est particulièrement élevé par rapport aux bonnes performances réalisées par ses représentants dans les compétitions européennes. Ce résultat révèle, d’une part, l’excellence du système de formation en place aux Pays-Bas et, d’autre part, la confiance que les clubs locaux manifestent à l’égard des jeunes. D’autres pays sont dans des situations similaires à celle observée en Hollande, notamment l’Allemagne, la France, la Croatie et l’Espagne.
À l’opposé, en première division hongroise, l’utilisation de footballeurs nationaux de moins de 22 ans est particulièrement faible par rapport aux mauvais résultats obtenus en Coupe d’Europe. Ce résultat traduit à la fois la faiblesse du système de formation existant dans le pays et une méfiance à l’égard des jeunes joueurs. Le même constat est valable à Chypre, en Pologne et en Bulgarie. En Biélorussie et en Finlande, c’est surtout la qualité de la formation qui n’est pas optimale.
5. Clubs pour jeunes, clubs pour vieux
Au total, 247 clubs ont toujours été présents en première division tout au long de la période analysée. Dans 31 de ces équipes, le temps de jeu des footballeurs de moins de 22 ans a été supérieur à 25%. La valeur record sur l’ensemble de la période a été mesurée à Lokomotiva Zagreb: 54,2% (fig-9). Il s’agit du seul club où les jeunes joueurs ont disputé la majorité des minutes.
Aucun club d’Europe du Sud ne figure parmi ceux ayant utilisé le plus de jeunes footballeurs. Parmi les équipes où les moins de 22 ans ont joué au moins un quart du temps de jeu il y a aussi un seul club d’Europe de l’Est : Litex Lovech. À l’opposé, nous trouvons de nombreuses équipes néerlandaises (6), serbes (5), croates (4) et slovènes (4).
Six équipes ayant accédé au moins une fois à la phase de poule de la Ligue des Champions depuis la saison 2009/10 figurent parmi celles toujours présentes en première division lors de la période analysée où les jeunes joueurs ont disputé au moins un quart des minutes de championnat : Ajax, Nordsjælland, Anderlecht, Malmö, Dinamo Zagreb et Schalke 04.
Les pourcentages record de minutes disputées par les joueurs de moins de 22 ans sont encore plus élevés si on en prend en compte qu’un seul semestre. Cependant, une valeur très élevée ne peut pas toujours être interprétée favorablement. Par exemple, la valeur maximale (83,0%) a été enregistrée pour le club cypriote d’Alki Larnaca lors du premier semestre de la saison 2013/14. Or, sur l’ensemble de l’année, cette équipe n’a engrangé que deux points. Dans ce cas, l’utilisation de jeunes cachait des graves soucis d’ordre financier.
Il est aussi intéressant de mettre en exergue les clubs se focalisant sur le recrutement international de jeunes joueurs (fig-10). En tête du classement des équipes où les joueurs de moins de 22 ans étrangers ont disputé le plus grand pourcentage de minutes lors de la période analysée on trouve Vitesse Arnhem (14,9%). L’équipe néerlandaise accueille de nombreux joueurs formés à Chelsea ou recrutés par l’équipe londonienne aux quatre coins du globe.
Aux vingt premières places des équipes les plus enclines à aligner des jeunes joueurs étrangers, il y a aussi huit clubs ayant participé à la phase de groupe de la Ligue des Champions au moins une fois entre 2009/10 et 2015/16 : Ajax, Anderlecht, Bâle, Celtic Glasgow, Porto, AZ Alkmaar, Nordsjælland et Twente. Tous ces clubs disposent ou ont accès à des réseaux de recrutement internationaux au travers desquels d’attirer de nombreux talents étrangers.
Contrairement aux clubs mis en exergue précédemment, de nombreuses équipes ne se soucient guère d’aligner des joueurs de moins de 22 ans (fig-11). Au total, parmi les clubs toujours présents en première division entre 2009 et 2015, la valeur la plus faible a été observée à Stoke City : 0,6% du temps de jeu. Si on ne considère que les nationaux, le pourcentage de minutes des joueurs de moins de 22 ans entre juillet 2009 et décembre 2015 a été inférieur à 3% dans 23 clubs, avec un minimum pour l’AEL Limassol (0,2%).
Les équipes d’Europe méditerranéenne sont nettement sur-représentées parmi celles faisant le moins confiance aux jeunes nationaux. Nous trouvons notamment huit clubs d’Italie, dont des participants récents de la Ligue des Champions comme Juventus, Naples, Fiorentina, Rome et l’Inter. De nombreuses autres équipes récemment qualifiées pour cette compétition ne se préoccupent guère de donner leur chance à des jeunes nationaux : Chelsea, Zenit, Fenerbahçe, Manchester City, APOEL, Porto ou encore Viktoria Plzeň.
6. Les jeunes au coeur du marché
Notre analyse montre que l’utilisation de jeunes ne va pas forcément de pair avec la formation locale de talents. De plus en plus de joueurs de moins de 22 ans alignés par les équipes étudiées ne sont pas issus du centre de formation de ces dernières. Ce constat reflète l’accroissement de la mobilité des footballeurs dès leur plus jeune âge.
De nombreux jeunes joueurs sont transférés peu après avoir débuté dans la première équipe de leur club de formation. De plus en plus de transferts interviennent aussi avant même que le joueur n’ait eu le temps de débuter au niveau professionnel avec son équipe formatrice.
Les clubs formateurs qui ne disposent pas de beaucoup de moyens éprouvent beaucoup de difficultés à retenir leurs meilleurs éléments compte-tenu des moyens incommensurablement supérieurs dont disposent les équipes les plus riches. À l’inverse, les jeunes joueurs formés par ces dernières sont souvent obligés à partir pour obtenir du temps de jeu.
À l’heure actuelle, force est de constater que les clubs formateurs ne sont pas assez protégés contre ce qu’on pourrait appeler une fuite des muscles. De plus, le départ précoce à l’étranger comporte de sérieux risques aussi pour le joueur lui-même du point de vue du développement de sa carrière.
Notre analyse suggère ainsi qu’il est nécessaire de réfléchir à des mécanismes de régulation pour mieux protéger les investissements consentis en matière de formation de jeunes dans une perspective économique et, dans le même temps, renforcer la protection de la carrière des jeunes joueurs d’un point de vue sportif afin de limiter autant que possible le gâchis de talents.
Rapport mensuel n°13 - Mars 2016 - L’utilisation de jeunes footballeurs en Europe