1. Introduction
L’analyse de la présence de joueurs formés au club dans différents pays européens est particulièrement intéressante pour comparer les stratégies et les cultures footballistiques sur un plan international. Conformément à la définition prise en compte par l’UEFA et reprise par de nombreuses associations nationales européennes, sont considérés comme formés au club les footballeurs ayant évolué dans le club d’emploi pendant au moins trois saisons entre l’âge de 15 et 21 ans.
Le rapport couvre 31 championnats de première division européens*. Il se base sur le recensement annuel effectué depuis 2009 par l’Observatoire du football CIES portant sur les joueurs présents au sein des effectifs à la date du 1er octobre. Pour être inclus dans l’échantillon, un footballeur devait avoir déjà joué en championnat lors de la saison en cours ou, le cas échant, avoir disputé des rencontres dans des championnats adultes lors de chacune des deux saisons précédentes. Les deuxièmes et troisièmes gardiens ont été pris en compte dans tous les cas.
* [AUT] Autriche, [BEL] Belgique, [BLR] Biélorussie, [BUL] Bulgarie, [CRO] Croatie, [CYP] Chypre, [CZE] Tchéquie, [DEN] Danemark, [ENG] Angleterre, [ESP] Espagne, [FIN] Finlande, [FRA] France, [GER] Allemagne, [GRE] Grèce, [HUN] Hongrie, [ISR] Israël, [ITA] Italie, [NED] Pays-Bas, [NOR] Norvège, [POL] Pologne, [POR] Portugal, [ROM] Roumanie, [RUS] Russie, [SCO] Écosse, [SRB] Serbie, [SUI] Suisse, [SVK] Slovaquie, [SVN] Slovénie, [SWE] Suède, [TUR] Turquie et [UKR] Ukraine
2. Présence de joueurs formés au club
Entre 2009 et 2017, la proportion de joueurs formés au club dans les effectifs des équipes analysées a diminué d’année en année en passant de 23,2% à 18,4%. Ce résultat met en exergue l’intensification de la mobilité des footballeurs dès leur plus jeune âge, ainsi que l’inefficacité des mesures mises en place pour encourager l’emploi de joueurs formés localement.
Figure 1 : % de joueurs formés au club dans les effectifs, 31 ligues européennes (2009-2017)
Sur l’ensemble de la période analysée, la proportion de joueurs formés au club au sein des effectifs a été de 21,2%. Le plus fort pourcentage a été mesuré en première division slovaque (36,3%). Il s’agit d’une valeur quatre fois plus élevée que dans la Süper Lig turque (8,8%). Les pays aux cinq derniers rangs sont tous méditerranéens : Turquie, Italie, Portugal, Chypre et Grèce. Ce résultat reflète une approche culturelle qui ne considère pas la promotion de talents locaux comme une priorité.
Figure 2 : % of de joueurs formés au club dans les effectifs, par ligue (2009-2017)
La présence moyenne de joueurs formés au club est corrélée à l’âge moyen des effectifs (fig. 3). La Belgique et le Portugal constituent les principaux résidus. Dans ces deux cas, la part de footballeurs formés au club devrait être bien plus élevée compte-tenu de l’âge relativement jeune des effectifs. Ce résultat reflète la propension des équipes du plus haut niveau des compétitions belge et portugaise à importer des jeunes talents depuis l’étranger. Il montre également la forte mobilité interne des joueurs nationaux.
À l’opposé, en Slovaquie, Israël et République Tchèque, la proportion de joueurs formés au club est bien plus élevée que l’âge moyen des effectifs laisserait supposer. Dans ces trois pays, les expatriés représentent une proportion assez limitée de joueurs. De plus, les transferts nationaux étant relativement peu fréquents, les joueurs formés au club tendent à rester plus longuement dans l’équipe formatrice par rapport à ce qui se passe ailleurs en Europe.
Figure 3 : âge moyen et % de joueurs formés au club, par ligue (2009-2017)
Un écart significatif dans le pourcentage de joueurs formés au club existe aussi entre gardiens et joueurs de champ. Le taux le plus faible en absolu a été enregistré au niveau des attaquants (17,7%). Les différences par poste renvoient à des écarts en termes de mobilité sur le marché du travail. Les attaquants sont en effet bien plus mobiles que les gardiens et, dans une moindre mesure, que les défenseurs et les milieux-de-terrain.
Figure 4 : % de joueurs formés au club dans les effectifs, par poste (2009-2017)
3. Joueurs formés au club et succès
Une corrélation significative existe aussi entre la présence relative de joueurs formés au club et le niveau sportif d’une ligue (fig. 5). La part des footballeurs issus du centre de formation diminue en parallèle à l’augmentation de la compétitivité des championnats. Chypre et Turquie constituent les principaux résidus négatifs. Dans les deux cas, les équipes nationales sous-performent dans les coupes européennes par rapport à la très faible proportion de joueurs formés au club présents dans leurs effectifs.
Figure 5 : % de joueurs formés au club et coefficient UEFA moyen, par ligue (2009-2017)
Aucune corrélation n’existe entre le pourcentage de footballeurs formés au club et le niveau sportif des équipes. Comme illustré dans la figure 6, seuls les clubs les moins compétitifs (avec un coefficient CIES inférieur à 0,5) se composent d’un plus fort pourcentage de joueurs issus de leurs centres de formation que les toutes meilleurs équipes européennes (coefficient CIES supérieur à 1,25). La plus faible proportion de footballeurs formés au club a été enregistrée dans les deux catégories intermédiaires. C’est à ce niveau que la spéculation sur le marché des transferts est la plus forte.
Figure 6 : % de joueurs formés au club et niveau sportif des équipes* (2009-2017)* défini selon le coefficient de l’Observatoire du football CIES
En moyenne, pour toutes les ligues et saisons analysées, le pourcentage de joueurs formés au club parmi les équipes championnes a été de 24,1%. Il s’agit d’une part plus élevée que celle mesurée à l’échelle de tous les clubs (21,2%). Ce résultat montre l’importance de la formation pour connaître le succès. Les plus forts pourcentages de footballeurs formés au club parmi les champions ont été observés pour Barcelone en 2012/13 et Viitorul Constanța en 2016/17 : 57,7% dans les deux cas.
Figure 7 : % les plus élevés de joueurs formés au club, champions de 31 ligues européennes (2009-2017)
À l’autre extrême, depuis 2009, seulement cinq équipes des championnats analysés ont gagné le titre sans joueurs formés au club dans l’effectif : Ferencvárosi, Ludogorets, Olympiacos, Cluj et Salzbourg. Juventus est l’unique équipe du big-5 dans ce classement. Ce résultat indique également qu’avoir des joueurs issus du centre de formation dans l’effectif est tout sauf pénalisant. Ce constat est valable indépendamment du niveau du championnat pris en compte.
Figure 8 : % les plus faibles de joueurs formés au club, champions de 31 ligues européennes (2009-2017)
L’analyse du pourcentage moyen de joueurs formés au club parmi les champions par ligue révèle aussi l’existence d’importantes différences culturelles dans le football européen. À un extrême, les champions de Grèce (surtout Olympiacos), du Portugal (surtout Porto et Benfica) et de Bulgarie (surtout Ludogorets) n’ont compté que sur un nombre très limité de joueurs formés par leurs soins. À l’autre extrême, la formation a constitué un atout de poids pour les champions néerlandais (surtout Ajax et PSV) et espagnols (surtout Barcelone et Real Madrid).
Figure 9 : % moyen des joueurs formés au club pour les champions, par ligue (2009-2017)
4. Conclusion
Ce rapport révèle que la capacité à former des footballeurs de haut niveau fait partie de l’avantage compétitif détenu par les meilleures équipes européennes. Cependant, ce résultat est en partie lié à la manière dont les joueurs formés au club sont définis. En effet, après trois saisons, un joueur engagé à 18 ans peut être considéré comme formé au club par l’équipe l’ayant recruté. Cette possibilité encourage les clubs les plus en vue à attirer précocement les meilleurs talents initialement formés par des équipes moins compétitives.
Un changement dans la définition de la catégorie des joueurs formés dans le club ou dans l’association serait utile pour promouvoir un développement plus durable du football européen. Diminuer l’âge de référence pour définir la catégorie des joueurs formés localement de la période de 15 à 21 ans à celle de 12 à 17 ans permettrait de limiter la spéculation grandissante autour du transfert de mineurs en Europe*. En effet, selon les règles de la FIFA, les joueurs communautaires ne peuvent partir à l’étranger qu’après leur 16ème anniversaire. Ceci empêcherait aux clubs et pays recruteurs d’acquérir le statut de formateurs.
* Sur cet aspect, veuillez vous référer à la vingtième édition du Rapport Mensuel
Disposer d’un centre de formation performant n’amène pas directement au succès. Néanmoins, ce rapport montre qu’il s’agit d’un indicateur pertinent pour mesurer la capacité des clubs à se projeter sur le long terme. L’existence d’une académie performante est aussi un indicateur fiable de la force du club en tant qu’institution enracinée dans un territoire. Au-delà des résultats à court terme, investir dans la formation de jeunes talents locaux peut être considéré comme un gage pour le développement durable du club en tant qu’institution.
Rapport mensuel n°33 - Mars 2018 - Une analyse comparative des joueurs formés au club en Europe