1. Introduction
Le travail de longue haleine poursuivi au sein de l’Observatoire du football CIES se focalise notamment sur l’analyse démographique du marché du travail des footballeurs. C’est avec fierté que nous sommes désormais en mesure de présenter une photographie des principales évolutions observées lors de la dernière décennie.
L’étude couvre les thématiques de la formation (joueurs formés au club), de la migration (footballeurs expatriés) et de la mobilité (joueurs ayant changé d’équipe en cours d’année). L’échantillon se compose des équipes ayant participé à 31 ligues de première division d’associations membres de l’UEFA entre 2009 et 2018.
Pour être pris en compte, un footballeur devait être présent au 1er octobre dans l’effectif de la première équipe des clubs analysés. De plus, il devait avoir déjà joué en championnat lors de la saison en cours ou, le cas échant, avoir disputé des rencontres dans des ligues d’adultes lors de chacune des deux saisons précédentes (équipes B non comprises). Les deuxièmes et troisièmes gardiens ont été pris en compte dans tous les cas.
Figure 1 : échantillon de l’étude et zones géographiques
2. Formation
Conformément à la définition de l’UEFA, les joueurs formés au club sont ceux ayant passé au moins trois saisons entre 15 et 21 ans dans leur équipe d’appartenance. La part de cette catégorie de footballeurs n’a jamais été aussi faible qu’au 1er octobre 2018 : 16,9% (-6,3% en dix ans). La baisse observée lors de la dernière année a été la plus forte jamais enregistrée (-1,6%). La diminution moyenne annuelle a augmenté de 0,37% entre 2009 et 2013 à 1,02% entre 2014 et 2018.
Une baisse a été observée dans toutes les parties du continent. L’Europe du Nord et l’Europe centrale restent les zones avec la plus forte proportion de joueurs formés au club. Cependant, une forte diminution y a été aussi observée depuis 2009 : -8,8% et -8,4% respectivement. Dans toutes les régions, la valeur mesurée en 2018 est la plus faible jamais enregistrée. L’Europe du Sud présente le niveau le plus bas dans l’absolu (12,8%).
Figure 2 : % de joueurs formés au club par zone géographique
Différents processus expliquent la baisse constatée. Une proportion croissante de clubs n’accorde plus beaucoup d’importance à la présence de joueurs issus de leurs structures de formation au sein de la première équipe. De plus, les clubs moins huppés rencontrent de plus en plus de difficultés à retenir leurs meilleurs jeunes, qui convergent de plus en plus vite vers des clubs plus riches.
La part des joueurs formés au sein des 100 principaux clubs formateurs est passée de 21,8% en 2009 à 26,4% en 2018. Le pourcentage des joueurs encore en période de formation évoluant pour un club qui ne les a pas formés est passé de 40,5% en 2009 à 53,9% en 2018. Ces évolutions reflètent la concentration précoce des talents au sein d’un nombre réduit de clubs dominants dans un contexte fortement spéculatif au sein duquel beaucoup de joueurs transférés précocement repartent rapidement vers de nouveaux horizons.
Au 1er octobre 2018, les valeurs extrêmes de joueurs formés au club par ligue ont été observées en Israël (28,0%) et en Italie (7,4%). Dans 30 championnats sur 31, le niveau enregistré en 2018 a été inférieur à la moyenne mesurée lors de la dernière décennie. Les plus forts écarts négatifs concernent la Croatie (-15,7%), la Suède (-11,2%) et la Slovaquie (-8,6%).
Figure 3 : % de joueurs formés au club par ligue
3. Migration
L’analyse de la migration est effectuée à partir du concept d’expatrié. Cette notion définit les joueurs ayant grandi en dehors de l’association nationale de leur club d’emploi et étant partis à l’étranger pour des raisons footballistiques. Cette définition a le mérite d’isoler les migrations directement liées à la pratique du football. En effet, les joueurs d’origine étrangère ayant grandi dans l’association de leur équipe d’appartenance ne sont pas considérés expatriés.
Au cours de la dernière décennie, la part des expatriés dans les ligues étudiées est passée de 34,7% à un niveau record de 41,5% en 2018. Une accélération du processus d’internationalisation des effectifs a été observée. D’une croissance annuelle de 0,55% entre 2009 et 2013, on passe à une hausse moyenne de 1,17% entre 2014 et 2018. La part des expatriés a augmenté dans toutes les zones analysées. Ces derniers sont particulièrement nombreux en Europe du Sud (51,8%) et de l’Ouest (48,9%).
Figure 4 : % d’expatriés par zone géographique
L’augmentation de la part d’expatriés est essentiellement liée aux migrations des ressortissants de pays membres de l’UEFA. En valeur absolue, leur nombre a augmenté de 736 unités entre 2009 et 2018. Le nombre de footballeurs provenant de pays extérieurs à l’UEFA a par contre diminué de 61 unités. Lors de la dernière décennie, la part d’expatriés européens parmi l’ensemble des expatriés est ainsi passée de 58,5% à 65,5%.
Les valeurs par ligue se situent entre 66,2% à Chypre et 16,3% en Serbie. Dans 26 des 31 championnats analysés, le pourcentage mesuré en 2018 a été supérieur à la moyenne de la décennie. Les plus fortes augmentations concernent la Croatie (+19,2%), la Slovaquie (+14,2%), la Bulgarie (+10,9%) et la Slovénie (+10,0%). Au 1er octobre 2018, les expatriés représentaient plus de la moitié des effectifs dans un nombre record de neuf championnats, dont trois du big-5 (Angleterre, Italie et Allemagne).
L’évolution du pourcentage de joueurs ayant déjà migré au cours de leur carrière permet aussi de rendre compte du processus d’internationalisation du marché du travail des footballeurs. La part de footballeurs dans ce cas de figure est passée de 46,4% en 2009 à un niveau record de 56,9% en 2018. En une décennie, l’âge moyen de première migration est passé de 22,2 à 21,8 ans. Le pourcentage de joueurs partis en tant que mineurs parmi ceux ayant déjà migré au cours de leur carrière a aussi augmenté de 8,2% à 9,6%.
Figure 5 : % d’expatriés par ligue
4. Mobilité
Le pourcentage de joueurs recrutés en cours d’année dans les effectifs des clubs est un bon indicateur pour mesurer la mobilité sur le marché du travail. Les footballeurs directement issus de centres de formation n’ont pas été considérés comme des nouvelles recrues. En 2018, le pourcentage de joueurs ayant rejoint leur club d’emploi en cours d’année était de 44,4%. Il s’agit d’un pourcentage plus faible qu’en 2017 (-0,6%), mais bien plus élevé que sur l’ensemble de la dernière décennie (+2,9%).
En Europe de l’Est et du Sud, au 1er octobre 2018, la moitié des joueurs dans les effectifs n’était pas présente une année auparavant. Cette proportion est bien plus faible en Europe de l’Ouest et du Nord. Néanmoins, depuis 2009, une augmentation a été enregistrée dans l’ensemble des zones géographiques : entre +4,8% en Europe du Sud et +11,0% en Europe de l’Est. Un ralentissement du rythme de l’accélération de la mobilité a été observé lors des cinq dernières années (+0,60% en moyenne annuelle) par rapport aux cinq années précédentes (+1,27%).
Figure 6 : % de joueurs recrutés en cours d’année par zone géographique
Dans 27 championnats sur 31, le pourcentage de nouvelles recrues en 2018 a été supérieur à celui mesuré sur l’arc de la dernière décennie. Le volume des transferts a augmenté surtout en Croatie (+16,4%) et en Ukraine (+10,7%). Turquie et Angleterre sont les deux seuls pays où la part de joueurs recrutés en cours d’année en 2018 a été inférieure à celle mesurée lors du premier recensement en 2009.
Au 1er octobre 2018, la proportion de nouvelle recrues était d’au moins la moitié dans un nombre record de onze ligues. Sur l’ensemble de la période, la valeur la plus faible a été mesurée dans la première division danoise (29,9%). En 2018, les équipes les plus stables se situent en Allemagne (32,1% de joueurs recrutés en cours d’année) et en Angleterre (32,9%). À l’exception de la Serie A, tous les championnats du big-5 font partie de ceux dont les clubs changent le moins de joueurs.
Dans un contexte économique de forte polarisation, la stabilité est en train de devenir un luxe que peu de clubs (et de joueurs) peuvent se permettre. À ce titre, il n’est pas surprenant de constater que des clubs riches sont aux avant-postes du classement des équipes avec le moins de joueurs différents recensés lors de la dernière décennie : Bayern Munich (71 joueurs), Real Madrid (76) et Barcelone (79). Avec 178 joueurs différents, le club croate de NK Istra présente la valeur la plus élevée parmi les équipes toujours présentes dans notre échantillon.
Figure 7 : % de joueurs recrutés en cours d’année par ligue
5. Conclusion
Les recensements menés par l’Observatoire du football CIES permettent de dégager des tendances très claires. Le marché du travail des footballeurs en Europe se déterritorialise par une moins grande présence de joueurs formés au club, une plus forte proportion de footballeurs expatriés et une plus grande mobilité. Ces processus ne sont pas sans poser problème du point de vue du rôle que les clubs sont censés remplir dans leur environnement local.
De plus en plus d’équipes sont axées sur le court terme. Dans un contexte de plus en plus segmenté et spéculatif, propriétaires et dirigeants tendent à optimiser les retours financiers sur le marché des transferts au détriment de considérations de nature plus éminemment sportive. De plus en plus de joueurs ne considèrent leur équipe que comme un tremplin pour intégrer des marchés plus rémunérateurs. Agents et entourage jouent aussi un rôle décisif à cet égard. L’instabilité croissante qui en découle limite la compétitivité sportive de plus en plus d’équipes, au profit des clubs plus riches et mieux structurés qui dominent de plus en plus les débats.
Rapport mensuel n°39 - Novembre 2018 - Dix ans d'analyses démographiques