1. Introduction

L’équilibre des compétitions est une problématique cruciale dans tout sport collectif. Le football ne fait pas exception. Le sport professionnel américain est même structurellement organisé pour prévenir un trop grand déséquilibre entre équipes. Dans une perspective commerciale, le postulat de base est que l’incertitude favorise le spectacle et les recettes.

La question de l’équilibre des forces en présence a aussi une dimension morale. Elle soulève notamment la problématique de l’égalité des chances. L’équilibre permet à un plus grand nombre d’équipes de prétendre à la victoire, y compris celles de pays ou de villes économiquement marginaux. Le déséquilibre compétitif met par contre à mal le principe de la glorieuse incertitude du sport.

Le quarantième Rapport mensuel de l’Observatoire du football CIES analyse l’équilibre des compétitions dans le temps et l’espace. L’échantillon inclut 24 compétitions européennes pour une période de dix saisons entre 2008/09 et 2017/18. La première partie se focalise sur les classements en championnat à la fin de la saison régulière, tandis que la seconde analyse les résultats par match.

​Figure 1 : échantillon de l’étude​

2. Déséquilibres par saison

De nombreuses approches sont possibles pour mesurer l’équilibre des championnats sur l’arc d’une saison. Par souci de concision et de simplicité, deux indicateurs reflétant le niveau de domination des meilleures formations ont été retenus dans le cadre de ce rapport. Il s’agit du pourcentage de points réalisés par l’équipe ayant terminé la saison régulière en tête de classement, respectivement par les clubs classés aux trois premières places. L’analyse prend en compte les points gagnés sur tapis vert, mais exclut les éventuelles pénalités attribuées aux clubs avant le début de la saison.

Pour les deux indicateurs, les résultats à l’échelle des 22 championnats nationaux étudiés montrent une évolution vers un plus grand déséquilibre. Le pourcentage de points réalisés par les champions est passé de 72,3% lors du premier lustre pris en compte à 74,5% lors du dernier. La proportion moyenne de points des trois équipes les mieux classées a aussi augmenté entre les deux périodes : de 66,3% à 67,6%. Dans les deux cas, un nouveau record a été battu lors de la dernière saison analysée.

​Figure 2 : % de points des champions et des trois clubs les mieux classés, 22 championnats​

La même analyse à l’échelle des cinq grandes ligues européennes montre des niveaux de déséquilibre encore plus marqués et en augmentation. Lors de la saison 2017/18, les champions du big-5 ont réalisé un pourcentage record de 83,3% de points. Il s’agit d’une proportion de 10% supérieure à celle mesurée en 2008/09. Le pourcentage moyen entre le premier et le dernier lustre étudié est passé de 76,0% à 80,8%. L’analyse pour les trois clubs les mieux classés montre la même tendance vers plus de déséquilibre.

​Figure 3 : % de points des champions et des trois clubs les mieux classés, big-5​

La comparaison spatiale permet de mettre en exergue les différences entre championnats. À un extrême, les clubs ayant remporté la première division portugaise ont obtenu 84,4% des points possibles. À l’autre extrême, les champions de la deuxième division française n’en ont réalisé que 64,4%. Dans 16 championnats sur 22, le pourcentage de points réalisés par les champions a augmenté entre les cinq premières et les cinq dernières années étudiées. Les trois accroissements les plus marqués ont été enregistrés dans des championnats du big-5 : Ligue 1 (+10,0%), Serie A (+8,3%) et Bundesliga (+7,2%).

​Figure 4 : % moyen de points des champions, par championnat​

3. Déséquilibres par match

L’équilibre peut aussi se mesurer à l’échelle des rencontres. Une analyse de ce type a l’avantage de permettre la prise en compte de compétitions internationales telles que celles organisées par l’UEFA : la Ligue des Champions et la Ligue Europa. Dans les deux cas, seules les rencontres disputées à partir de la phase de groupe ont été incluses dans les calculs.

La différence de buts moyenne par match et le pourcentage de rencontres qui se sont soldées par trois ou plus buts d’écart sont des indicateurs particulièrement pertinents pour mesurer l’équilibre à l’échelle des matchs. Les résultats indiquent ici aussi une tendance vers plus de déséquilibre. On passe de 1,309 buts d’écart par match lors des cinq premières années à 1,338 lors des cinq dernières, ainsi que de 14,3% de rencontres avec trois buts d’écart ou plus à 15,3%. Dans les deux cas, la valeur la plus élevée a été enregistrée lors de la dernière saison étudiée.

​Figure 5 : différence de buts moyenne par match, 24 compétitions​

​Figure 6 : % de rencontres avec au moins trois buts d’écart, 24 compétitions​

La même tendance vers moins d’équilibre a été mesurée au niveau des cinq grands championnats européens. Si les valeurs pour la saison 2017/18 ne sont pas les plus élevées jamais enregistrées, les moyennes entre le premier et le dernier des deux lustres étudiés sont explicites. L’écart de buts par rencontre est passé de 1,325 à 1,400 et le pourcentage de matchs avec trois ou plus goals de différence de 14,7% à 16,7%.

​Figure 7 : différence de buts moyenne par match, big-5​

​Figure 8 : % de rencontres avec au moins trois buts d’écart, big-5​

Lors des dix saisons étudiées, la plus forte différence moyenne de buts par rencontre a été mesurée au niveau de la Ligue des Champions de l’UEFA : 1,58 buts. La compétition reine du football européen est aussi celle présentant la plus forte proportion de matchs qui se sont soldés par au moins trois buts d’écart : 21,0%. En ce qui concerne l’écart moyen de buts, c’est aussi au niveau de la Ligue des Champions que l’évolution vers le déséquilibre a été la plus marquée entre les cinq premières et les cinq dernières saisons prises en compte. Pour le deuxième indicateur, une plus forte tendance vers le déséquilibre n’a été observée qu’en Ligue 1 française.

​Figure 9 : différence de buts moyenne, par compétition​

​Figure 10 : % de matchs avec trois ou plus buts d’écart, par compétition​

4. Conclusion

Tous les indicateurs passés en revue dans ce rapport illustrent une évolution vers un plus grand déséquilibre dans le football européen. Ce constat est valable tant sur l’arc d’une saison qu’à l’échelle des matchs. Bien que des différences notables existent entre compétitions, cette tendance est bien répandue. Le niveau de déséquilibre est particulièrement important dans les cinq grands championnats et en Ligue des Champions. Les différences observées renvoient aux écarts économiques entre équipes. En valeur absolue, ces écarts sont bien plus importants dans les ligues les plus riches que dans les autres.

La concentration des ressources va de pair avec la concentration des talents. Beaucoup d’équipes et de ligues sont confinées dans un rôle de tremplin pour des joueurs en devenir. Ce rôle permet de réaliser des plus-values sur le marché des transferts. Cependant, dans un contexte économique de plus en plus inégalitaire, les compensations financières tirées de ces transactions ne sont pas suffisantes pour stopper la dégradation de l’équilibre compétitif. La situation présente joue à la faveur des clubs les plus riches, qui étendent chaque jour davantage leur domination sportive, économique et même politique.