1. Introduction

Vieille tradition dans le monde du football, le prêt de joueurs remplit différentes fonctions. Le recours à cette stratégie permet notamment aux clubs prêteurs de faire acquérir de l’expérience à des jeunes talents, le plus souvent auprès d’équipes moins riches, tout en conservant la pleine propriété des droits de transfert. Le prêt répond de ce point de vue à une logique tant sportive qu’économique.

Ce Rapport Mensuel analyse l’évolution du nombre et des caractéristiques des joueurs ayant évolué en prêt au sein d’équipes des cinq grands championnats européens (Premier League anglaise, Liga espagnole, Serie A italienne, Bundesliga allemande et Ligue 1 française) sur une période de dix saisons entre 2009/10 et 2018/19.

2. Combien de joueurs prêtés ?

Lors de la décennie étudiée, le nombre de joueurs en prêt au sein de clubs participant aux cinq grands championnats européens a considérablement augmenté. Un accroissement de 18% a été constaté entre les cinq premières et les cinq dernières saisons étudiées : de 2,62 à 3,09 par club en moyenne. En 2018/19, les joueurs en prêt ont disputé un pourcentage record de minutes au sein du big-5: 11,5%.

Figure 1 : joueurs en prêt par club, ligues du big-5

Saisons 2009/10-2018/19

Figure 1 : joueurs en prêt par club, ligues du big-5

Cette évolution s’explique notamment par la tendance des équipes les plus riches à mettre sous contrat un nombre croissant de joueurs avec un niveau sportif suffisant pour évoluer dans les grands championnats européens. Cette situation place les autres clubs dans un état de dépendance accru pour composer leurs effectifs, en augmentant leur propension à accueillir des joueurs en prêt.

Le recours au prêt se fait très différemment en fonction des ligues. Les équipes de Serie A sont de loin celles ayant le plus de joueurs en prêt : en moyenne 4,87 par club et par saison lors de la décennie étudiée. Les clubs de la Liga espagnole sont aussi très enclins à recourir à des prêts (3,85), tandis que leurs homologues des trois ligues restantes le sont beaucoup moins. Entre 2009/10 et 2018/19, les footballeurs prêtés n’ont disputé que 6,3% du temps de jeu en Bundesliga, contre 14,5% en Liga.

Figure 2 : joueurs en prêt par club, par ligue

Saisons 2009/10-2018/19

Figure 2 : joueurs en prêt par club, par ligue (2009/10-2018/19)

Toutes les équipes ayant accueilli le plus fort contingent de joueurs en prêt par saison sont espagnoles ou italiennes. Il s’agit en majorité de clubs disposant de ressources financières limitées. La plupart du temps, le recours massif à des prêts n’a pas eu les résultats escomptés. Sur les dix-huit équipes qui en ont accueilli douze ou plus (fig.3), dix ont connu la relégation à la fin de saison. Le meilleur rang a été obtenu par Genoa en 2014/15 (sixième).

Figure 3 : nombre maximal de joueurs en prêt, par club, big-5

Big-5, saisons 2009/10-2018/19

Figure 3 : nombre maximal de joueurs en prêt, par club, big-5 (2009/10-2018/19)

Dans les autres ligues du big-5, le nombre record de joueurs en prêt par club et saison n’a été que de 8 en Ligue 1 française (Arles en 2010/11 et Bastia en 2014/15), 7 en Bundesliga allemande (Eintracht Frankfurt en 2018/19) et 6 en Premier League anglaise (Portsmouth en 2009/10, Hull City en 2016/17 et Fulham en 2018/19).

L’âge moyen des joueurs prêtés à des équipes des cinq grands championnats européens n’a que peu évolué depuis dix ans : 24,6 ans en moyenne. D’importantes différences existent entre ligues. À un extrême, les clubs de la Bundesliga allemande accueillent en prêt surtout des jeunes joueurs (23,1 ans en moyenne). À l’autre extrême, les équipes de la Premier League anglaise se font prêter des footballeurs relativement plus expérimentés (25,3 ans).

Figure 4 : âge moyen de joueurs en prêt

Saisons 2009/10-2018/19

Figure 4 : âge moyen de joueurs en prêt, par ligue (2009/10-2018/19)

3. Qui prête ?

Si les clubs accueillant le plus de joueurs en prêt ont des ressources limitées, parmi ceux qui prêtent davantage il y a plusieurs équipes dominantes : Chelsea, Inter, Juventus, Rome, Naples, Manchester City, etc. À la première place en absolu on trouve cependant un club relativement modeste : Udinese. Cette position est liée au fait que les propriétaires du club italien ont aussi longtemps détenu la propriété de Granada, à qui ils ont prêté beaucoup de joueurs.

Figure 5 : plus grand nombre de joueurs prêtés à des clubs du big-5

Saisons 2009/10-2018/19

Figure 5 : plus grand nombre de joueurs prêtés à des clubs du big-5 (2009/10-2018/19)

L’axe Udinese-Granada constitue de loin la plus forte connexion de prêts au sein du big-5 sur la décennie analysée : 20 joueurs. Parmi les autres relations privilégiées, certaines concernent des équipes extérieures aux cinq grands championnats. Benfica, par exemple, a prêté beaucoup de joueurs à Deportivo La Coruña (9) ainsi que, à l’image d’Udinese, Granada (5).

Figure 6 : plus fortes connexions de prêts vers des clubs du big-5

Saisons 2009/10-2018/19

Figure 6: principaux clubs récipiendaires des indemnités de transfert payées par les équipes du big-5, millions € (2010-2019)

4. Prêt, et après ?

Dans certains cas, les prêts constituent une véritable réussite. Des joueurs de classe mondiale comme les Belges Thibaut Courtois et Kevin de Bruyne figurent notamment dans la liste des joueurs prêtés à des clubs du big-5 lors de la dernière décennie, Atlético Madrid et Werder Bremen respectivement, ayant disputé le plus fort pourcentage de minutes pendant la saison du prêt.

Figure 7: gardiens en prêt avec le temps de jeu le plus élevé

Big-5, saisons 2009/10-2018/19

Figure 7: gardiens en prêt avec le temps de jeu le plus élevé, big-5 (2009/10-2018/19)

Figure 8: joueurs de champ en prêt avec le temps de jeu le plus élevé

Big-5, saisons 2009/10-2018/19

Figure 8: joueurs de champ en prêt avec le temps de jeu le plus élevé, big-5 (2009/10-2018/19)

Nombre d’excellents footballeurs internatioaux de leur pays comme Duván Zapata, Paco Alcácer, Pierre-Emerick Aubameyang ou encore Romelu Lukaku figurent également dans la liste des joueurs prêtés à des clubs du big-5 entre 2009/10 et 2018/19 ayant marqué au moins 15 buts en championnat lors de la saison du prêt.

Figure 9: joueurs en prêt ayant marqué le plus de buts

Big-5, saisons 2009/10-2018/19

Figure 9: joueurs en prêt ayant marqué le plus de buts, big-5 (2009/10-2018/19)

Une analyse plus globale montre que dans la plupart des cas le prêt constitue l’antichambre d’un départ définitif. En effet, seuls 29,6% des joueurs prêtés à des clubs du big-5 entre 2009/10 et 2018/19 sont retournés dans leur équipe d’appartenance à l’issue de la période de prêt. Dans 27% des cas, ils ont été de nouveau prêtés, tandis que dans le 43,4% des cas restants ils ont été transférés de manière permanente à une autre équipe.

Figure 10: destination des joueurs après la période de prêt

Big-5, saisons 2009/10-2018/19

Figure 10: destination des joueurs après la période de prêt

5. Conclusion

À l’heure actuelle, de nombreux clubs dominants ont un plus grand contingent de joueurs prêtés que dans leur propre effectif. Cette situation a poussé la FIFA à réfléchir à des limitations possibles de la pratique.

Des garde-fous auraient tout leur sens pour éviter des usages pervertis de la stratégie du prêt axés non pas sur une logique sportive légitime visant à développer le potentiel d’un jeune joueur sur lequel le club d’appartenance compte véritablement, mais plutôt sur une logique économique visant à réaliser des plus-values sur le marché des transferts ou sur une logique politique visant à exercer une influence indue sur des clubs rivaux.

Parmi les différentes options envisageables, il y a notamment une limite maximale au nombre de joueurs prêtés, l’interdiction de prêts successifs ou encore la possibilité pour les joueurs prêtés à multiples reprises de résilier leur contrat. Pour être efficaces, ces mesures devront être accompagnées d’autres mesures visant à réguler les questions des options de rachat et de la multi-propriété des clubs.