1. Introduction

Lors de la décennie qui va bientôt se terminer, 42 clubs ont toujours été présents au sein des cinq grands championnats européens. Le 50ème Rapport Mensuel de l’Observatoire du football CIES analyse les compositions de ces équipes tout au long de la décennie : combien de joueurs ont-elles utilisé ? Quel était l’âge des joueurs au moment des matchs disputés ? Leur taille ? Leurs origines ?

L’analyse inclut aussi la dimension économique en prenant en compte les indemnités de transfert dépensées et encaissées (bonus compris) depuis le 1er janvier 2010 par les 42 clubs étudiés. Les données pour l’année 2019 font référence à la période du 1er janvier au 15 novembre.

Figure 1 : échantillon de l’étude

42 clubs toujours présents au sein des cinq grands championnats européens (2010-2019)

Figure 1 : échantillon de l’étude (2010-2019)

2. Brassage

Un premier élément d’analyse est le brassage des joueurs au sein des effectifs. Des écarts très importants existent à ce niveau. À un extrême, l’Athletic Club Bilbao n’a utilisé que 77 joueurs lors des rencontres de championnat disputées pendant la décennie. Ce résultat reflète l’importance cruciale attribuée à la dimension identitaire dans la politique du club basque.

La très forte stabilité observée chez l’Athletic Club trouve son pendant opposé à Genoa. Le club d’Enrico Preziosi a utilisé 205 joueurs en championnat entre 2010 et 2019. Les deux équipes où a œuvré le directeur sportif Monchi font aussi partie de celles ayant aligné le plus grand nombre de footballeurs : Séville et Rome. Ces statistiques illustrent l’accent placé sur le trading de joueurs dans la stratégie de ces clubs.

Figure 2 : nombre de joueurs utilisés en championnat

2010-2019

Figure 2 : nombre de joueurs utilisés en championnat (2010-2019)
Malgré la saison 2016/17 disputée avec Crystal Palace, Steve Mandanda est le footballeur ayant joué le plus grand pourcentage des minutes de championnat d’une des 42 équipes de l’échantillon. Lors de la décennie étudiée, le gardien français a disputé 84,2% des minutes jouées par l’Olympique de Marseille. La plus haute valeur pour un joueur de champ a été enregistrée pour Lionel Messi à Barcelone (83,4%). Paris St-Germain figure parmi les six équipes dont le joueur le plus utilisé de la décennie a disputé moins de la moitié des minutes de jeu (Thiago Silva, 49,6%).

Figure 3 : % de minutes de championnat du joueur le plus utilisé par club

2010-2019

Figure 3 : % de minutes de championnat du joueur le plus utilisé par club (2010-2019)

3. Âge

Sur l’arc de la décennie 2010, aucune équipe n’a aligné des joueurs aussi âgés que les multiples champions d’Italie de Juventus : en moyenne 28,8 ans au moment des matchs disputés. Deux autres clubs italiens affichent les valeurs les plus élevées : Inter (28,4 ans) et Lazio (28,3 ans). À l’opposé, les équipes françaises et allemandes sont surreprésentées parmi celles ayant aligné les plus jeunes joueurs, avec un minimum de 24,6 ans pour Toulouse.

Figure 4 : âge moyen lors des matchs disputés

2010-2019

Figure 4 : âge moyen lors des matchs disputés (2010-2019)

Huit des neuf clubs ayant recrutés les joueurs en moyenne les plus âgés sont italiens, avec un maximum de 26,6 ans pour la Lazio. Pressés de conquérir des titres, Paris St-Germain et Manchester City ont aussi ciblé leur recrutement sur des joueurs expérimentés. Cependant, avec l’arrivée de Guardiola, Manchester City a changé sa politique en recrutant des footballeurs plus jeunes, à l’image de la politique menée par d’autres grandes équipes telles que Real Madrid (23,5 ans) ou Liverpool (24,6 ans).

Figure 5 : âge moyen au moment du recrutement

2010-2019

Figure 5 : âge moyen au moment du recrutement (2010-2019)

4. Taille

L’analyse en termes de taille révèle aussi d’importantes différences en fonction des ligues et des clubs. Barcelone a utilisé les joueurs les plus petits dans l’absolu (178,66 cm en moyenne). Le club catalan est suivi par cinq équipes françaises et trois autres équipes espagnoles. À l’opposé, six des sept clubs ayant aligné les footballeurs les plus grands sont allemands, avec un maximum de 185,05 cm pour Schalke 04. La taille des joueurs de Juventus est aussi relativement élevée : 183,76 cm (5ème place).

Figure 6 : taille moyenne des joueurs utilisés (cm)

2010-2019

Figure 6 : taille moyenne des joueurs utilisés (2010-2019)

5. Origines

Le cas unique d’Athletic Club ressort aussi de l’analyse sur le pourcentage de minutes disputées par les joueurs ayant grandi en dehors de l’association du club d’appartenance : à peine 3,7% (Aymeric Laporte). À l’opposé, les 12 équipes où les expatriés ont joué la plus forte proportion de minutes de championnat sont anglaises et italiennes, avec un maximum de 83,9% pour Arsenal. Ce pourcentage dépasse 80% aussi pour Inter et Chelsea.

Figure 7 : % de minutes des joueurs expatriés

2010-2019

Figure 7 : % de minutes des joueurs expatriés (2010-2019)

À l’exception de l’Athletic Club, toutes les équipes toujours présentes dans le big-5 entre 2010 et 2019 ont aligné des joueurs originaires d’au moins 18 pays différents. Bien que donnant large place aux expatriés, les clubs les plus compétitifs tendent à concentrer leur recrutement international sur un nombre d’origines relativement limité : 18 pour Atlético Madrid, 19 pour Barcelone et Paris St-Germain ou encore 20 pour Real Madrid et Bayern. Le record est détenu par l’AS Rome (37 origines différentes).

Figure 8 : nombre d’origines différentes

2010-2019

Figure 8 : nombre d’origines différentes (2010-2019)

6. Formation

Athletic Club est la seule équipe où les joueurs formés au club (au moins trois saisons entre 15 et 21 ans sur place) ont disputé une majorité de minutes de championnat : 61,3%. Barcelone présente aussi une valeur élevée : 46,1%. À l’opposé, en queue de peloton on trouve beaucoup d’équipes italiennes et anglaises. Malgré les nombreux recrutements de très jeunes talents, Manchester City est le club où les joueurs issus du centre de formation ont disposé du plus faible minutage : 2,1%.

Figure 9 : % de minutes des joueurs formés dans le club

2010-2019

Figure 9 : % de minutes des joueurs formés dans le club (2010-2019)

7. Finances

L’indicateur du prix moyen des recrutements payants donne à voir les grands écarts dans les possibilités financières des clubs. Manchester United figure en tête de liste (en moyenne €32M par transfert payant), suivi de près par Paris St-Germain (€30M). Quatre autres équipes ont en moyenne investi plus de €20M par transfert payant lors de la décennie étudiée : Barcelone, Real Madrid, Manchester City et Chelsea. À l’opposé, trois clubs français présentent les valeurs les plus faibles, avec un minimum d’environ €2M pour Montpellier.

Figure 10 : prix moyen d’un transfert payant

2010-2019, millions €

Figure 10 : prix moyen d’un transfert payant (2010-2019)

Seulement 16 des 42 équipes analysées totalisent un bilan net positif sur les opérations de transfert effectuées entre 2010 et 2019. Le maximum a été enregistré pour LOSC Lille (+€249M). Aucun des sept clubs toujours présents en Premier League lors de la décennie prise en compte ne présente un bilan positif. Quatre équipes ont des bilans nets particulièrement négatifs : Manchester City, Paris St-Germain, Manchester United et Barcelone. Le déficit cumulé de ces quatre clubs dépasse €3,5 milliards.

Figure 11 : bilan net sur les opérations de transfert

2010-2019, millions €

Figure 11 : bilan net sur les opérations de transfert (2010-2019)

8. Conclusion

L’étude montre l’importance des différences dans les stratégies poursuivies par les équipes pour composer leurs effectifs. Le cas unique d’Athletic Club Bilbao ressort dans presque tous les indicateurs analysés. L’équipe basque poursuit avec succès un modèle stratégique basé sur un ancrage territorial extrêmement fort. Ce modèle est devenu de plus en plus rare avec la commercialisation du football et sa mondialisation, en particulier à l’échelle des cinq grands championnats européens.

Le cas de Barcelone montre que l’ancrage territorial peut demeurer un atout de taille même pour un club mondialisé. Les nombreux trophées obtenus lors de la décennie 2010 sont en effet en grande partie liés aux qualités exceptionnelles de joueurs formés sur place, tels que Lionel Messi, Xavi, Andrés Iniesta, Gerard Piqué ou encore Sergio Busquets. Plus récemment, le changement d’orientation de Chelsea vers une plus grande place pour les joueurs du centre de formation, sans perte de compétitivité, indique que la déterritorialisation du football demeure un choix plus qu’une obligation.

L’analyse des stratégies de composition des effectifs lors de la décennie 2010 montre ainsi que si l’argent est plus que jamais le nerf de la guerre, d’autres facteurs rentrent en ligne de compte. La stabilité des effectifs découlant d’une bonne planification stratégique, ainsi que la capacité des clubs à valoriser les meilleurs talents formés sur place et stimuler un fort sentiment d’appartenance auprès de toutes les parties prenantes (joueurs, staff, supporters, etc.), demeurent des critères de réussite même dans l’environnement hyper-commercial et globalisé actuel.