1. Introduction
En 2019, pour la première fois de l’histoire, les clubs de football ont dépensé plus de €10 milliards en indemnités de transfert. Ce montant a plus que triplé en une décennie en parallèle à l’augmentation des recettes des clubs. Contrairement à ce qui est souvent avancé par les personnes extérieures au football, les montants des transferts ne sont pas irrationnels. Ils sont fixés par les acteurs du marché sur la base de critères en grande partie objectifs et donc statistiquement modélisables.
Depuis 2010, l’Observatoire du football CIES a fait œuvre de pionnier en développant une méthode scientifique pour estimer les valeurs de transfert des footballeurs sur la base des sommes payées dans le passé pour des joueurs aux caractéristiques similaires. Ce rapport détaille les variables incluses dans le modèle statistique développé, révèle le pouvoir explicatif de ce dernier et présente plusieurs applications de l’approche mise en place.
2. Les variables
Les variables incluses dans le modèle statistique de l’Observatoire du football CIES pour estimer la valeur de transfert des joueurs de football professionnels peuvent être classées en trois groupes. Les variables relatives aux clubs, celles relatives aux joueurs, ainsi qu’une variable contextuelle : la saison lors de laquelle le transfert a eu lieu. Cette dernière variable permet de prendre en compte l’évolution des prix toutes choses égales par ailleurs dans un contexte fortement inflationniste.
Les variables relatives aux clubs renvoient au niveau des équipes où les joueurs ont évolué avant leur transfert tant sur le plan sportif que financier. Du point de vue sportif, le niveau des équipes est calculé sur la base des résultats obtenus et de la ligue d’appartenance. Le niveau de la ligue d’appartenance est elle-même calculée sur la base des résultats obtenus par les clubs ayant représenté les pays en question dans les compétitions internationales.
Du point de vue économique, le niveau des clubs est calculé à partir des investissements consentis en indemnités de transfert dans le passé récent. L’équation prend aussi en compte les dépenses pour l’acquisition de joueurs à l’échelle de la ligue d’appartenance, de manière notamment à anticiper la nouvelle force économique des clubs relégués ou promus.
Les variables relatives aux joueurs sont les plus nombreuses. Parmi celle-ci, il y a la durée contractuelle restante avec le club d’appartenance - l’indemnité de transfert étant de facto une compensation pour rupture de contrat - l’âge, le statut international, la progression de carrière, ainsi que les performances des joueurs dans les différentes compétitions disputées en club et en équipe nationale (minutes de jeu, buts, passes décisives, dribbles, passes, etc.).
Chacune de ces variables contribue de manière significative (<5% de marge d’erreur) à la formation des prix des footballeurs. La forte corrélation mesurée entre sommes estimées et payées (voir prochain chapitre) indique que les variables utilisées reflètent particulièrement bien la manière dont les acteurs du marché négocient les prix. Dans des cas spécifiques, des circonstances particulières peuvent néanmoins assumer une importance particulière.
Figure 1 : modélisation de la valeur de transfert des footballeurs
Parmi les aspects non-considérés dans le modèle pouvant expliquer les écarts parfois observés entre sommes estimées et payées, il y a notamment le besoin urgent de liquidités d’un club, la mésentente d’un joueur avec l’entraîneur ou des co-équipiers, l’éclosion d’un autre joueur au même poste, des problèmes d’ordre physique ou disciplinaire, des performances hors norme dans les catégories de jeunes, etc.
3. Les résultats
Le modèle statistique pour évaluer la valeur de transfert des joueurs appartenant à des équipes des cinq grands championnats européens a été bâti à partir d’un échantillon de 1,790 transferts payants réalisés entre juillet 2012 et janvier 2020. La corrélation entre sommes payées et estimées est supérieure à 80%, ce qui signifie que les variables prises en compte expliquent plus de quatre cinquièmes des différences de prix entre les transferts inclus dans le modèle.
Figure 2a : corrélation entre sommes estimées et payées
Modèle ne tenant pas compte de la force financière du club acheteur
L’ajout de la variable de la force financière du club recruteur renforce le modèle et permet d’atteindre une corrélation de 85%. Ceci témoigne du fait que les prix varient en partie aussi en relation à la force économique du club acquéreur. Plus un club est financièrement puissant, plus il devra investir de l’argent afin de recruter un nouveau joueur.
Figure 2b : corrélation entre sommes estimées et payées
Modèle tenant compte de la force financière du club acheteur
Le modèle développé par l’équipe de recherche de l’Observatoire du football CIES n’a pas seulement un fort pouvoir explicatif, mais est aussi robuste. Les tests de validation croisée effectués en scindant l’échantillon de manière aléatoire en deux parties, 80% pour entraîner le modèle et 20% des transferts restants sur lesquels appliquer les coefficients obtenus pour chaque variable, montrent que les corrélations restent élevées et les valeurs projetées proches.
Figure 3 : exemple de validation croisée
Modèle ne tenant pas compte de la force financière du club acheteur
4. Conclusion
L’approche pionnière développée par l’Observatoire du football CIES en matière d’évaluation scientifique des valeurs de transfert se prête à des multiples usages auxquels les acteurs du marché ont recours:
(1) Négociations de transfert
Dans un contexte très spéculatif où des fausses informations sont souvent fuitées par les clubs, les agents et les médias, il est très utile de se baser sur une valeur objective avant même d’entamer toute négociation. La projection de valeurs futures peut être aussi précieuse, notamment en ce qui concerne la négociation de pourcentages ou bonus à la revente.
(2) Négociations contractuelles
Grâce à l’algorithme développé, il est possible d’établir des scénarios fiables sur la valeur de transfert future des joueurs. Cette démarche est notamment utile pour définir le niveau du salaire pouvant être offert au joueur sans prise de risque excessive, afin de déterminer la durée optimale d’un nouveau bail ou fixer le montant d’éventuelles clauses de départ.
(3) Litiges concernant des transferts
Notre algorithme est de la plus grande utilité aussi dans le cadre de litiges portant sur des sommes de transfert. Par exemple, afin de fixer une indemnité pour rupture unilatérale de contrat de la part d’un joueur, lorsque les clubs ont droit à un pourcentage sur la revente d’un joueur échangé ou revendu, ainsi que quand des footballeurs ou d’autres entités détiennent une partie des droits de transfert.
(4) Négociations de crédits
L’estimation objective et indépendante des valeurs de transfert est aussi utile dans le cadre de la négociation de crédits. En effet, la valeur de transfert de l’effectif constitue un indicateur fiable de la capacité des clubs à honorer leurs engagements, ce qui n’est pas forcément le cas de la valeur comptable telle qu’inscrite au bilan. L’évaluation de l’effectif est aussi utile en termes de communication financière.
(5) Établissement d’assurances
Avec l’augmentation des prix de transfert, il devient de plus en plus utile de contracter des assurances permettant de compenser l’éventuelle perte de valeur d’un joueur pour cause de blessure notamment. Grâce à notre algorithme, nous pouvons monitorer avec précision la valeur actuelle et future des joueurs sous contrat selon différents scénarios pour atténuer les risques.
(6) Vente ou achat de clubs
Pour la plupart des équipes à travers le monde, les joueurs sont le principal actif. Une estimation objective et neutre de la valeur de transfert agrégée des membres de l’effectif est un critère-clé à prendre en compte lorsqu’il s’agit de négocier l’achat ou la vente d’un club. Notre algorithme convient parfaitement pour ce besoin.
Au-delà de toute application par les acteurs du marché, notre démarche et indépendance permettent d’amener plus de transparence et objectivité dans les opérations de transfert. Jusqu’à présent, à notre connaissance, aucune autre organisation n’est en mesure de juger du bien-fondé des transactions sur une base scientifique aussi solide.