1. Introduction

La manière dont on vit et l’on pratique le football à travers le monde est un bon révélateur des caractéristiques propres à chaque pays. Ce Rapport Mensuel compare 87 premières divisions du monde entier du point de vue du nombre de cartons jaunes et rouges distribués par les arbitres lors des matchs disputés entre la saison 2015/16 (ou 2016) et 2019/20 (ou 2020).

L’étude met en exergue d’importantes différences dans le nombre d’avertissements et d’expulsions selon les pays. Elle révèle également l’existence de corrélations significatives entre le taux de cartons par match et des indicateurs socio-économiques des États : produit intérieur brut, indice de développement humain, taux d’homicides et un indice de perception de la corruption.

Figure 1 : Échantillon de l’étude

2. Différences de cartons entre pays

Les arbitres ont en moyenne distribué 4,42 cartons jaunes et 0,25 cartons rouges par match au niveau des 101’491 rencontres analysées dans les 87 ligues prises en compte. Les équipes évoluant à l’extérieur ont reçu une majorité des cartons : 53,0% pour les jaunes et 56,7% pour les rouges. Les cartons ont été distribués surtout en deuxième mi-temps : 65,8% des jaunes et 81,8% des rouges.

Figure 2 : Statistiques globales des cartons

Figure 2 : Statistiques globales des cartons

Le nombre de cartons varie considérablement selon la Confédération d’appartenance des ligues étudiées. À un extrême, les arbitres donnent en moyenne 5,83 cartons par match en Amérique du Sud (CONMEBOL). Il s’agit d’un chiffre de 45% plus élevé que celui observé au niveau des 15 championnats asiatiques étudiés (4,00). Partout, les équipes évoluant à l’extérieur reçoivent plus de cartons que celles jouant à domicile.

Figure 3 : Statistiques des cartons, par Confédération

Figure 3 : Statistiques des cartons, par Confédération

Sept championnats d’Amérique se trouvent aux sept premières places du classement des ligues où les arbitres donnent le plus d’avertissements et d’expulsions : quatre d’Amérique du Sud (Bolivie, Uruguay, Colombie et Paraguay) et trois d’Amérique centrale (Guatemala, Nicaragua et El Salvador). À l’opposé, quatre liges asiatiques et six d’Europe du Nord sont dans le top 10 des championnats avec le moins de cartons.

Figure 4 : Statistiques des cartons, par pays

3. Les déterminants socio-économiques

Pour expliquer les différences constatées au niveau des avertissements et expulsions par aire géographique, nous avons testé l’existence de liens de causalité entre le taux de cartons par match et différents indicateurs socio-économiques à l’échelle des pays. Cette analyse met en lumière plusieurs corrélations statistiquement significatives.

En premier lieu, le produit intérieur brut (PIB) et l’indice de développement humain (IDH) d’un pays sont inversement corrélés à la quantité de cartons. Ce résultat indique que les matchs disputés dans des pays dont les habitants disposent d’une meilleure qualité de vie et éducation sont moins tendus, ou du moins donnent lieu à moins de sanctions disciplinaires de la part du corps arbitral. La corrélation avec l’IDH est plus élevée que celle avec le PIB : r2 de 16.7% et de 11.7% respectivement.

Figure 5 : PIB par habitant et nombre de cartons par match

R2 = 11.7%

Figure 6 : Indice de développement humain et nombre de cartons par match

R2 = 16.7%

Une corrélation statistiquement significative a aussi été mesurée entre le taux de cartons et celui d’homicides (r2 de 20%). La force de ce lien atteint 33.1% si l’on corrèle le taux d’homicides avec le nombre de cartons rouge par match. La violence présente au sein d’une société semble ainsi se transposer au sein des rencontres de football.

Figure 7 : Taux d’homicide et nombre de cartons taux de cartons rouges par match

R2 = 33.1%

Une dernière corrélation statistiquement significative concerne le taux de cartons et l’indice de perception de la corruption dans un pays tel que calculé par l’organisation Transparency International. Plus les habitants considèrent que le niveau de corruption dans leur pays est élevé, plus les arbitres auront à distribuer des cartons. Ce résultat pourrait refléter à l’existence d’un climat social où méfiance et injustices sont de mise.

Figure 8 : Perception de la corruption et nombre de cartons par match

R2 = 21.8%

4. Conclusion

Sport global par excellence, le football se joue selon les mêmes règles partout dans le monde. Pourtant, les styles de jeu diffèrent passablement selon les pays, tout comme la manière de vivre les rencontres, tant par les supporters que les joueurs. Les styles d’arbitrage varient aussi selon les zones géographiques et les cultures de jeu.

Tous ces éléments expliquent les écarts parfois importants constatés dans le nombre de cartons distribués par les arbitres en fonction des pays. La seule constante indépendamment du continent d’appartenance des ligues réside dans le fait que les équipes évoluant à l’extérieur reçoivent une majorité de cartons. Ce résultat est probablement lié à leur attitude plus défensive et à la pression exercée par les supporters locaux.

Les différences dans le taux de cartons par pays sont significativement corrélées avec plusieurs indicateurs socio-économiques relatifs à ces derniers. Ainsi, plus un pays est riche ou dispose d’un indice de développement humain élevé, moins les joueurs recevront des cartons. À l’opposé, plus le taux d’homicides ou l’indice de perception de la corruption sont importants, plus les arbitres auront à distribuer des cartons.

Ces résultats montrent que les rencontres de football se déroulent selon des dynamiques différentes en fonction du contexte social, économique, politique et culturel des pays dans lesquelles elles se jouent. Ils confirment le lien très étroit entre football et société et montrent l’importance de prendre en compte les spécificités des pays pour une analyse fine du jeu même dans un contexte de mondialisation.