1. Introduction
Les grandes équipes se construisent au fil des ans. Si l’engagement de nouveaux joueurs est important, la suractivité sur le marché des transferts traduit souvent un manque de planification stratégique. Le maintien d’un niveau de stabilité suffisant constitue en effet un critère-clé pour gérer durablement une équipe et optimiser ses performances.
Ce rapport présente l’approche développée par l’Observatoire du football CIES pour évaluer comparativement la durabilité des effectifs sur la base de trois éléments : l’âge des joueurs, leur permanence dans le club d’emploi et la durée de leurs contrats. L’étude porte sur les effectifs actuellement à disposition des 98 équipes participant aux cinq grands championnats européens : Premier League anglaise, Liga espagnole, Serie A italienne, Bundesliga allemande et Ligue 1 française.
2. Structure d’âge
Un premier aspect auquel il faut réfléchir en bâtissant un effectif dans un souci de durabilité est la structure d’âge des joueurs. Si le déclin des performances n’intervient pas au même moment pour tout le monde, au-delà d’un certain âge, l’usure physique et mentale sont inévitables. Disposer de footballeurs expérimentés est certainement utile, voir même indispensable, mais une trop forte dépendance par rapport à des joueurs âgés peut aussi s’avérer dangereuse.
La dépendance à des footballeurs en fin de carrière peut se mesurer avec le pourcentage de minutes disputés par des joueurs ayant dépassé un certain âge. Etant donné que les joueurs défensifs restent d’une manière générale plus longtemps performants que les joueurs offensifs, nous avons considéré ici les seuils de 33 ans pour les gardiens, 32 ans pour les défenseurs, 31 ans pour les milieux et 30 ans pour les attaquants. Les données ci-dessous ont été arrêtées à fin février de la saison 2020/21.
Le plus fort pourcentage de minutes a été enregistré pour les néo-promus espagnols de Huesca (39,6%), suivi par deux équipes qui se sont affrontées en huitième de finale de la Ligues des champions : Lazio (38,7%) et les détenteurs du titre Bayern Munich (36,4%). Cinq clubs italiens figurent aux dix premiers rangs, alors qu’il n’y a que des clubs allemands et anglais aux dix dernières positions. Parmi les équipes les mieux construites pour durer du point de vue de l’âge, il y a notamment Manchester City et Liverpool.
Figure 1 : % de minutes par des joueurs âgés, big-5 (2020/21)
Matchs de championnat jusqu'au 01/03/2021
3. Stabilité du groupe
Dans un sport collectif comme le football, où le tout représente bien plus que la somme des parties, la cohésion entre co-équipiers revêt une importance particulière. Dans la mesure où elle facilite la mise en place d’automatismes, la stabilité de l’effectif est d’une manière générale positivement corrélée aux résultats. L’indicateur ci-dessous classe les équipes des cinq grandes ligues européennes selon le temps de jeu en championnat des joueurs recrutés après le mois de juillet 2020.
À un extrême, 65,2% des minutes de Fulham ont été disputées par des nouvelles recrues. À l’image des Londoniens, les trois autres équipes les plus instables ont jusqu’ici obtenu des résultats plutôt décevants : Elche, OGC Nice et Crotone. Si des cas tels que ceux du RC Lens et d’Union Berlin montrent qu’il est possible d’être performant avec pas mal de nouveaux joueurs, le manque de stabilité découlant d’une gestion à court terme de l’effectif a le plus souvent un impact négatif sur le terrain.
À l’autre extrême, parmi les clubs où les nouvelles recrues ont disputé le plus faible pourcentage de minutes, on trouve majoritairement des équipes figurant dans la première moitié du classement de leurs championnats respectifs. Parmi celles-ci, il y a notamment trois clubs classés aux trois premières places de leur ligue : Real Madrid, Manchester United et RB Leipzig. Mayence est la seule équipe parmi les dix les plus stables qui était reléguable au moment de la rédaction du Rapport.
Figure 2 : % de minutes par des nouvelles recrues, big-5 (2020/21)
Matchs de championnat jusqu'au 01/03/2021
4. Politique contractuelle
En même temps que l’âge des joueurs et leur permanence, dans une perspective de gestion durable de l’effectif, la politique contractuelle revêt également une importance fondamentale. En effet, une trop forte dépendance par rapport à des footballeurs dont la fin de contrat s’approche ou qui sont prêtés par d’autres clubs (encore plus s'il n'y a pas d'option d’achat) constitue souvent un obstacle insurmontable pour maintenir un bon niveau de stabilité d’une saison à l’autre.
La figure 3 classe les équipes des cinq grandes ligues européennes selon le pourcentage de minutes disputées en championnat par des joueurs dont le contrat se termine au plus tard en juin 2022 ou en prêt depuis d’autres clubs. La valeur la plus élevée a été mesurée pour les Espagnols d’Eibar, avec presque neuf dixièmes des minutes jouées par des footballers liés par des contrats de courte durée.
À l’opposé, les cinq équipes les moins dépendantes de joueurs dont la fin de contrat est proche sont anglaises. Le plus faible pourcentage dans l’absolu a été mesuré pour Aston Villa (6,9%). À l’image de l’équipe de Birmingham, les autres équipes avec la politique contractuelle la plus axée sur le long terme font partie des meilleurs d’Angleterre : les deux clubs de Manchester, City et United, ainsi que les deux de Liverpool, Liverpool FC et Everton.
Figure 3 : % de minutes par des joueurs avec contrats courts ou en prêt, big-5 (2020/21)
Matchs de championnat jusqu'au 01/03/2021
5. Rating de gestion durable
À partir des critères de l'âge, de la permanence et de la durée contractuelle, nous avons construit un rating de gestion durable de l’effectif (GDE). Pour chaque joueur présent dans l’effectif, nous avons multiplié ses années de permanence dans la première équipe du club d’emploi (bornées à huit) avec ses années de contrat restant (bornées à cinq), et divisé le tout par l'âge. Le résultat ainsi obtenu a été multiplié par le pourcentage de minutes disputées en championnat.
En additionnant les valeurs de chaque joueur d’une équipe, on aboutit à un indice reflétant le niveau de durabilité d’un effectif. Bien que changeant après chaque match et transfert, cet indice permet non seulement de comparer les stratégies poursuivies par les équipes pour bâtir leur effectif, mais aussi d’avoir un avant-goût des résultats qu’elles peuvent espérer obtenir à l’avenir sans changements majeurs dans leurs politiques.
De ce point de vue, les supporters de Manchester United peuvent être relativement confiants sur la capacité de leur équipe à se qualifier sans trop de peine à la Ligue des champions lors des prochaines saisons, ou même à renouer avec la joie du titre. Classées juste derrière Manchester United malgré des ressources bien inférieures, les clubs basques de Real Sociedad et Athletic Club constituent de très bons exemples d’une planification durable de l’effectif.
Figure 4 : indice de gestion durable de l’effectif, big-5
Joueurs présents dans l'effectif au 01/03/2021
À l’opposé, Genoa est l’exemple parfait d’une gestion axée sur le court terme. Le club du président Preziosi chamboule constamment son effectif en se maintenant péniblement en Serie A. La saison en cours ne devrait pas faire exception. Si certaines des équipes mal classées obtiennent actuellement des bons résultats, leur faible rating de durabilité indique la nécessité d’un changement de stratégie, sans quoi il leur sera difficile de continuer à maintenir un même niveau de performance.
6. Conclusion
Le football n’est pas une science exacte, loin s’en faut. Pourtant, l’analyse des données peut être un outil important pour optimiser les performances. Dans cette veine, le rating de gestion durable de l’effectif n’est pas seulement un outil descriptif permettant de comparer les stratégies poursuivies par les dirigeants des équipes dans le passé, ce qui est par ailleurs en soi intéressant, mais aussi un instrument pour orienter les politiques à venir afin d’optimiser les chances de réussite.
Du fait des très grands écarts dans les moyens financiers dont disposent les équipes, la performance se mesure très différemment selon les clubs. De la même manière, une équipe plus riche pourra plus facilement atteindre un rating de durabilité plus élevé qu’une équipe disposant de moins de ressources, la première pouvant par exemple recruter plus aisément les meilleurs jeunes talents, tout en étant plus à même de les conserver sur le long terme s’ils performent comme souhaité.
Néanmoins, pour tous les clubs, une planification intelligente de l’effectif du point de vue de l’âge, de la permanence et des contrats est de nature à optimiser durablement les performances, ou du moins à prévenir les grosses déconvenues. Une réflexion stratégique sur la manière de composer un effectif est en ce sens utile que ce soit pour remporter un titre, glaner une place européenne, se maintenir en première division, ou, si une relégation intervient, revenir rapidement au plus haut niveau.