1. Introduction
Depuis sa création en 2005, l’Observatoire du football CIES monitore les transferts des joueurs à travers les informations publiées par les clubs et les médias. Ce Rapport Mensuel analyse les transactions payantes intervenues lors de la dernière décennie ayant impliqué des équipes des cinq grands championnats européens la Premier League anglaise, la Liga espagnole, la Bundesliga allemande, la Serie A italienne et la Ligue 1 française.
L’étude analyse les sommes payées en indemnités de transfert par les équipes du big-5 (chapitre « investissements »), les clubs et championnats auxquels ces investissements ont bénéficié (chapitre « encaissements »), ainsi que les bilans financiers nets tant à l’échelle des équipes du big-5 que de chacune de ces ligues (chapitre « bilans »). La période couverte s’étend du mercato d’hiver 2012 à celui d’été 2021.
Les chiffres publiés incluent les indemnités de transfert fixes, les éventuels bonus, ainsi que les sommes versées dans le contexte de prêts payants. Les montants négociés dans le cadre de prêts avec obligation d'achat sont inclus dans le décompte pour l’année du transfert. Dans la limite des informations disponibles, les données sur les bénéficiaires prennent en compte les éventuels pourcentages à la revente négociés par les clubs précédents.
Dans la mesure où nous n'avons pas accès à l'information sur le paiement effectif d'éventuels bonus, nous utlisons le terme "engagé" plutôt que "payé" en référence aux investissements consentis par les clubs.
2. Investissements
Après avoir plus que triplé entre 2012 et 2019, les indemnités de transfert engagées par les équipes des cinq grandes ligues européennes ont fortement diminué : -28% sur l’année civile 2020 par rapport à 2019 et -20% en 2021. Cependant, pour l’été seulement, la diminution de 40% enregistrée entre la dernière fenêtre de transfert pré-COVID (2019) et la première post-COVID (2020) a été suivie d’une légère augmentation entre 2020 et 2021 : +1%.
Figure 1 : indemnités de transfert engagées par les clubs du big-5
2012-2021, millions €
En termes relatifs, la baisse mesurée lors de l’année civile 2021 par rapport à 2020 a été particulièrement marquée en Liga espagnole : –37% (et –77% par rapport à 2019). Cette situation est notamment liée aux difficultés financières des deux plus grands clubs ibériques : Real Madrid et Barcelone. Une diminution des dépenses a été observée dans tous les championnats. Bien qu’ayant dépensé nettement plus que les équipes des autres ligues, les clubs de Premier League anglaise ne font pas exception (-13% entre 2020 et 2021).
Figure 2 : indemnités de transfert engagées par ligue
2012-2021, millions €
Le classement des clubs ayant investi le plus en indemnités de transfert depuis 2010 donne à voir l’incroyable puissance financière d’une poignée d’équipes dominantes. Cinq équipes anglaises, trois italiennes, trois espagnoles et une française se trouvent parmi les douze ayant dépensé plus d’un milliard d’euros. La grande majorité de ces équipes faisaient partie de celles pressenties pour participer au projet avorté de Super Ligue européenne.
Figure 3 : indemnités de transfert engagées par club
2012-2021, millions €
Chelsea est le club du big-5 ayant engagé le plus d’argent en indemnités de transfert lors des trois mercatos intervenus depuis la pandémie : €403 millions. Six équipes de Premier League anglaise sont aux sept premières places de ce classement, un reflet de la puissance financière des clubs de ce championnat comparativement à ceux des autres grandes ligues européennes.
Figure 4 : indemnités de transfert engagées par club
Été 2020, hiver 2021 et été 2021, millions €
3. Encaissements
L'analyse des équipes ayant bénéficié des indemnités de transfert engagées par les clubs du big-5 lors des dix dernières années montre que la plupart de l'argent reste à l'intérieur de ces ligues: 65% du total. Le pourcentage mesuré en 2021 est même légèrement plus fort : 67%. Le niveau élevé de ces proportions reflète le fait que les transferts les plus chers ont généralement cours entre clubs des cinq grands championnats européens.
Figure 5 : récipiendaires des indemnités de transfert engagées par les clubs du big-5
La première division portugaise est celle extérieure au big-5 ayant le plus bénéficié des investissements en indemnités de transfert des clubs des cinq grands championnats européens : plus de deux milliards d’euros en dix ans. Derrière elle, on trouve la deuxième division anglaise et, plus distancées, les premières divisions néerlandaise, brésilienne et belge. Les ligues argentine et uruguayenne sont les deux seules autres compétitions non-européennes dans le top 20.
Figure 6 : principales ligues extérieures au big-5 récipiendaires des indemnités de transfert engagées par les clubs du big-5
2012-2021, millions €
Avec plus d’un milliard d’euros depuis janvier 2012, Monaco est l’équipe ayant le plus bénéficié des investissements réalisés par les clubs du big-5 pour le recrutement de nouveaux joueurs. Seulement trois équipes extérieures aux cinq grands championnats figurent dans le top 20 : Benfica (7ème, €792 millions), Ajax (12ème, €617 M) et Porto (14ème, €592 M). Si plusieurs grands clubs sont aux avant-postes, à l’image de Chelsea (2ème, €1,037 M), comme le montre le prochain chapitre, leurs bilans nets sur les opérations de transfert sont sans exception négatifs.
Figure 7 : principaux clubs récipiendaires des indemnités de transfert engagées par les équipes du big-5
2012-2021, millions €
4. Bilans nets
Pour une compréhension optimale de l’économie du marché des transferts, au-delà des sommes dépensées et des récipiendaires, il est judicieux d'étudier le bilan net des opérations. Avec un déficit cumulé lors de la dernière décennie d’un peu plus de €8 milliards, la Premier League anglaise sort nettement du lot. À l’opposé, malgré le bilan très négatif de Paris St-Germain (-€957 millions), la Ligue 1 française est le seul championnat du big-5 avec un solde positif (+€158 millions).
Figure 8 : bilans nets des transferts par ligue
2012-2021, millions €
Les bilans nets par ligue lors des trois mercatos intervenus depuis la pandémie montrent que les clubs de Premier League anglaise continuent à cumuler des déficits importants sur les opérations de transfert : -€1.9 milliards. Malgré une situation financière difficile, les équipes de Serie A ont aussi enregistré une perte. Ceci intervient dans le cadre d’une fuite en avant avec des payements de plus en plus échelonnés dans le temps. Par contre, les clubs espagnols ont adapté leurs stratégies et présentent un solde positif : +€196 millions.
Figure 9 : bilans nets des transferts par ligue
Été 2020, hiver 2021 et été 2021, millions €
Deux clubs français, LOSC Lille (+€342 millions) et l’Olympique Lyonnais (+€225 M), sont en tête du classement des équipes du big-5 actuelles avec le bilan financier le plus positif sur le marché des transferts depuis 2012. Ils sont suivis par trois équipes italiennes spécialisées dans le trading de joueurs : Genoa, Udinese et Atalanta. Athletic Club sort du lot pour la Liga espagnole et Hoffenheim en ce qui concerne la Bundesliga allemande.
Figure 10 : meilleurs bilans nets des transferts par club
2012-2021, millions €
Les deux clubs de Manchester et Paris St-Germain présentent les bilans nets les plus négatifs sur les opérations de transfert réalisées lors de la dernière décennie. Les autres équipes sont nettement distancées, avec treize clubs de Premier League dans le top 20. Toutes les équipes de la première division anglaise ont des soldes négatifs, à l'exception des néo-promus de Brentford (+€42 M).
Figure 11 : pires bilans nets des transferts par club
2012-2021, millions €
La surreprésentation des équipes de Premier League anglaise parmi celles avec les bilans nets les plus négatifs sur les opérations de transfert est très forte aussi depuis la crise sanitaire. Manchester United (-€218 millions) devance cinq autres clubs anglais : Arsenal, Chelsea, Leeds United, Tottenham et Manchester City. La première équipe non-anglaise est la Juventus, club ayant eu recours à des payements échelonnés dans le temps et à une augmentation de capital pour renforcer son effectif.
Figure 12 : pires bilans nets des transferts par club
Été 2020, hiver 2021 et été 2021, millions €
5. Conclusion
Après avoir plus que triplé entre 2012 et 2019, l'argent engagé pour des indemnités de transfert par les clubs des cinq grands championnats européens a brusquement diminué suite à la crise sanitaire mondiale. Une baisse de 58% a été enregistrée entre la dernière année pleine pré-COVID (2019) et la première année pleine post-COVID (2021). Par ligue, la diminution s’est située entre seulement -10% pour la Premier League anglaise et -77% pour la Liga espagnole.
Alors qu’une diminution de 40% avait été observée entre le premier mercato d’été après-COVID en 2020 et le dernier avant-COVID en 2019, la tendance à la baisse s’est arrêtée. En effet, pendant le dernier mercato, les équipes des cinq grandes ligues européennes ont engagé 1% de plus en indemnités de transfert que l’été précédent. La plus forte augmentation a été enregistrée en Bundesliga allemande : +30%.
Si une contraction a été enregistrée dans tous les championnats, la pandémie a renforcé la domination des clubs de Premier League anglaise sur le marché des transferts. La part des dépenses de ces derniers par rapport aux investissements totaux des équipes du big-5 est passée d’environ 36% entre janvier 2012 et janvier 2020 à plus de 45% lors des trois mercatos intervenus depuis le début de la crise sanitaire.
La part des investissements des dix clubs ayant engagé le plus d'argent en indemnités de transfert a aussi augmenté entre ces périodes (de 33% à 35%), tout comme celle des dix transferts les plus chers par rapport au total (de 30% à 33%). Tous ces indicateurs reflètent la tendance à une concentration des dépenses de la part des clubs les plus riches, et plus particulièrement les équipes les plus en vue de la Premier League anglaise.
Six équipes anglaises sont en tête du classement des bilans les plus négatifs post-pandémie, avec Manchester United premier (-€218 millions) devant Arsenal (-€217 M) et Chelsea (-€205 M). Depuis la crise sanitaire, les clubs de première ligue anglaise ont cumulé un déficit de presque deux milliards d’euros sur les opérations de transfert. À l’opposé, les clubs du deuxième championnat le plus riche, la Liga espagnole, ont enregistré un bilan positif (+€196 millions).
Dans un contexte de crise généralisée, le championnat anglais est le seul où les clubs ont continué à investir massivement dans le recrutement de nouveaux joueurs. Cet argent a permis à de nombreuses équipes des autres ligues du big-5 et, par effet de cascade, à des équipes de ligues extérieures au big-5, d’atténuer le choc de la crise sanitaire. Ce constat montre l’importance d’un système de transfert global tel qu’il existe actuellement, un système que la création d’une Super Ligue européenne fermée et autorégulée mettrait en péril.
Dans le même temps, la dépendance d’un nombre croissant de clubs même au sein des ligues les plus riches vis-à-vis des recettes liées au marché des transferts montre la fragilité du modèle économique du football actuel. Dans un contexte marqué par des écarts monétaires grandissants, la survie de plus en plus d’équipes est liée à la réalisation de plus-values par le transfert de leurs meilleurs joueurs, une situation financièrement dangereuse et sportivement limitante.