1. Introduction
Depuis l’été dernier, l’Observatoire du football CIES a le plaisir de travailler avec des données de course exclusivement produites par nos partenaires de SkillCorner. La société parisienne a développé une approche innovante pour générer automatiquement des données physiques et le suivi XY des joueurs à travers des algorithmes spécialisés.
Ce Rapport Mensuel s’intéresse à la distance parcourue par les joueurs lors des rencontres. Pour cela, nous utilisons les données issues de 7’855 matchs disputés lors des saisons 2020 ou 2020/21 dans 31 ligues réparties entre Europe et Amérique. L’étude analyse les distances effectuées selon la vitesse de course et les compare en fonction des ligues, des résultats des équipes et des postes des joueurs.
Figure 1: échantillon de l’étude
Compétitions couvertes et matchs pris en compte
2. Distances et résultats
Lors des saisons 2020 ou 2020/21, les joueurs de champ d’une équipe des 31 ligues étudiées ont en moyenne parcouru 100 km par match. Ce chiffre ne varie pas beaucoup selon les championnats. La valeur pour la compétition où les joueurs courent le plus, la Liga espagnole (103,7 km), n’est en effet que de 3,7% supérieure à la moyenne générale. La Serie A Brésilienne (95,8 km) est le championnat dans lequel les joueurs ont couvert en moyenne le moins de distance.
Cette analyse montre l’absence de relation claire entre le niveau des ligues et les kilomètres parcourus. La moyenne pour les cinq grands championnats européens, la Ligue des champions et la Ligue Europa est certes supérieure à la moyenne générale, mais l’écart est minime (+1,3%). Tout au plus, peut-on noter la présence en fin de classement de compétitions sud-américaines nationales (Serie A brésilienne, Superliga argentine) ou internationales (Copa Libertadores, Copa Sudamerica), ce qui dénote d’un style de jeu un peu plus lent qu’en Europe.
Figure 2 : distance moyenne des joueurs de champ, par match et équipe
Saison 2020 ou 2020/21
Les différences entre compétitions dans la distance parcourue en haute intensité (> 5,5 m/s ou 19,8 km/h) ne sont pas très nettes non plus. En moyenne, lors des saisons étudiées, un joueur de champ a couru 734 mètres par match en haute intensité. Dans ce cas aussi, la valeur enregistrée dans les ligues du big-5 et dans les compétitions internationales européennes de clubs est supérieure à celle générale, mais la faiblesse de l’écart (+3.2%) ne permet pas de conclure à un lien entre qualité des compétitions et distances agrégées des courses.
Figure 3 : distance moyenne parcourue en haute intensité (>19,8 km/h) par joueur de champ et par match
Saison 2020 ou 2020/21
A l’échelle des équipes, nous avons testé la corrélation entre la moyenne de points par match obtenue lors de la saison et les valeurs moyennes de la distance, tant au total qu’en haute intensité, dans l’hypothèse selon laquelle les équipes courant plus avaient plus de chances de remporter des victoires. Ici aussi, aucun lien significatif n’a pu être établi.
Nous avons également testé la corrélation entre l’écart des distances parcourues et la différence de buts lors des 7’855 matchs de l’échantillon. Bien que faible, un lien statistiquement significatif (R2 =0,08) existe entre les résultats et la distance couverte en sprint (>25,2 km/h) par chaque équipe. Néanmoins, dans la mesure où les sprints sont surtout le fait d’attaquants, ce résultat reflète probablement la tendance des équipes qui prennent l’avantage à agir en contre-attaque.
Figure 4 : corrélation entre écart de distance en sprintant et différence de buts lors d’une rencontre
D’ailleurs, lors des matchs gagnants, en phase de possession, les joueurs offensifs courent relativement plus en haute intensité que lors des matchs nuls ou des défaites, ce qui traduit aussi une plus grande tendance à jouer en contre-attaque lorsqu’une équipe prend l’avantage. Par contre, lors des matchs gagnants, lorsque les adversaires ont la balle, les joueurs défensifs courent relativement moins en haute intensité que lors des matchs nuls ou des défaites, ce qui reflète en miroir une plus grande tendance à reculer le bloc défensif.
Notre étude confirme ce qui a déjà été souligné par plusieurs chercheurs ayant analysé les données physiques sans trouver de lien significatif avec l’issue des rencontres. Cependant, d’autres études (notamment Faude, Koch et Meyer) ont montré que la grande majorité des buts sont précédés par au moins une action puissante (sprint, saut, rotation, changement de direction en sprintant) des joueurs ayant marqué ou fourni la passe décisive.
Si la force physique des joueurs revêt certainement une grande importance dans le football, les données agrégées analysées dans ce rapport ne sont pas les plus adéquates pour refléter son importance lors des moments-clé des matchs. Des recherches supplémentaires sont donc nécessaires pour analyser les données SkillCorner de manière plus détaillée.
3. L’âge des joueurs comme élément explicatif
L’âge des joueurs est un déterminant important sur les performances physiques. Avec le passage des années, celles-ci diminuent pour des raisons physiologiques bien connues. Mais qu’en est-il à l’échelle des ligues ou des équipes ? Les distances couvertes peuvent-elles avoir un rapport avec la composition des effectifs en termes d’âge ?
Dans un premier temps, nous avons croisé l’âge moyen sur le terrain des joueurs par ligue et les distances totales parcourues. Il existe une relation négative, faible, mais significative (R2=0.08) qui confirme cette hypothèse. Les joueurs des ligues les plus âgées comme la Turquie couvrent, en moyenne, moins de kilomètres que ceux des championnats plus jeunes comme celui des Pays-Bas. A l’échelle des équipes, le constat est identique avec une relation significative, même si également faible.
Figure 5 : distance moyenne par équipe et âge des joueurs sur le terrain, par ligue
La force de la relation s’accroît quand on utilise la distance parcourue à haute intensité. Elle est encore renforcée quand elle ne s’applique qu’aux attaquants (R2=0,14). Le lien entre âge et distance concerne donc en premier lieu les postes offensifs, là où les joueurs sont amenés à effectuer plus de courses à haute intensité. La jeunesse constitue donc un avantage tant dans la propension que dans la capacité à reproduire ce type d’efforts.
Figure 6 : distance moyenne à haute intensité et âge moyen des attaquants sur le terrain, par équipe
4. Le rôle prépondérant du poste occupé
À travers les données SkillCorner, nous disposons également du poste occupé par les joueurs lors de chaque match. Le poste est notamment défini en cinq grandes modalités : défenseur central, défenseur latéral, milieu, ailier, ainsi qu’avant-centre.
Les défenseurs centraux sont les joueurs qui, en moyenne, couvrent le moins de distance sur le terrain (9,2 km par match), alors que les milieux sont ceux qui en font le plus (10,6 km). La distance moyenne lors des sprints ou en haute intensité change cette hiérarchie au profit des joueurs de couloir (au niveau défensif comme offensif) et des attaquants. Que cela soit pour la distance totale ou celle couverte à plus grande vitesse, les mêmes hiérarchies entre postes s’observent dans toutes les ligues étudiées.
Figure 7 : distances moyennes des joueurs de champ lors d’un match, par poste et vitesse (mètres)
31 compétitions, saison 2020 ou 2020/21
Au-delà de cette distribution par poste, les données de SkillCorner permettent aussi d’analyser les valeurs en fonction de la possession ou non du ballon (sans prendre en compte les courses lors des phases de transition et des arrêts de jeu). Un premier résultat est que les joueurs courent plus quand leur équipe n’a pas la balle : 3’911 mètres par joueur de champ et par match contre 3’594. Ce constat s’applique à toutes les compétitions analysées.
Figure 8 : distances moyennes par match avec ou sans possession, par poste (mètres)
31 compétitions, saison 2020 ou 2020/21
L’écart entre la distance avec la balle et sans la balle varie fortement suivant le rôle sur le terrain. Avec une différence d’environ 553 mètres par match, les défenseurs centraux sont logiquement beaucoup plus impliqués physiquement quand l’équipe adverse détient la possession. Bien qu’avec un écart un peu plus réduit, les milieux et les arrières latéraux (376 et 341 m) sont confrontés à la même logique. Pour les postes offensifs, cette différence est bien plus mince, voire très légèrement positive pour les avant-centres.
En prenant en compte la distance couverte lors des courses à haute intensité, l’écart global entre possession et non possession de la balle devient faible (76 m), mais les variations entre postes s’amplifient. En phase de possession, les ailiers couvrent quatre fois plus de distance en sprint que les défenseurs centraux et 1,7 fois plus que les milieux. À contrario, dans les phases où l’équipe n’a pas la balle, ces efforts sont bien mieux répartis, avec un maximum pour les défenseurs latéraux.
Figure 9 : distance en haute intensité par match avec ou sans possession, par poste (mètres)
31 compétitions, saison 2020 ou 2020/21
5. Conclusion
La distance parcourue par les joueurs n’est pas un indicateur reflétant le niveau d’une équipe ou d’une ligue. Les différences entre les 31 compétitions analysées sont en effet relativement faibles, que ce soit au niveau de la distance totale que de celle à haute intensité (>19,8 km/h). Les joueurs des équipes européennes tendent néanmoins à couvrir plus de distance que ceux des clubs sud-américains, ce qui reflète un style de jeu plus rapide.
Au niveau des résultats à l’échelle des matchs, les joueurs des équipes victorieuses parcourent plus de distance en sprintant (>25,2 km/h) que leurs adversaires. Cela traduit cependant en premier lieu la plus forte propension des équipes qui prennent l’avantage à agir en contre-attaque, et non pas un différentiel important entre joueurs des compétitions analysées sur le plan des capacités de course.
Néanmoins, d’autres recherches ont montré que la grande majorité des buts sont précédés par au moins une action puissante des joueurs ayant marqué ou fourni la passe décisive. Les données agrégées ne sont donc probablement pas les plus adéquates pour refléter l’importance des prédispositions athlétiques des joueurs pendant les moments-clé des matchs. Des recherches supplémentaires paraissent ainsi nécessaires pour exploiter les données physiques produites par SkillCorner dans toute leur richesse.
Un lien significatif a aussi été observé entre l’âge des joueurs et les distances parcourues, que ce soit au total qu’en haute intensité. La relation la plus forte a été enregistrée entre l’âge des attaquants et les courses à haute vitesse. Ce résultat indique que la propension des attaquants à parcourir des distances en haute intensité diminue au fil des ans.
D’importantes différences au niveau des distances parcourues et des vitesses de course existent aussi entre postes. Les milieux courent le plus (10,6 km par match en moyenne), tandis que les défenseurs centraux le moins (9,2 km). Les ailiers couvrent la plus grande distance tant en haute intensité (932 m) qu’en sprint (211 m). Dans ces cas aussi, les valeurs les plus faibles ont été enregistrées pour les défenseurs centraux.
À l’exception des avant-centres, tous les autres joueurs de champ courent davantage lors des phases de non-possession que lors des phases de possession. Cependant, ce rapport change beaucoup selon la capacité des équipes à garder le ballon. D’un point de vue physique, les joueurs des équipes qui gardent la possession sont donc clairement avantagés dans la mesure où ils peuvent focaliser leurs efforts sur la phase offensive. Ceci est particulièrement vrai pour les ailiers et les avant-centres.