1. Introduction

Depuis 2009, l’équipe de recherche de l’Observatoire du football CIES effectue un recensement des joueurs des clubs de 31 premières divisions d’associations membres de l’UEFA. Ce recensement permet de dresser le portrait démographique des joueurs, des clubs et des ligues à travers l’Europe, en opérant des comparaisons spatiales et temporelles. Il s’agit d’un travail unique en son genre qui aide à mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans le marché de travail européen des footballeurs.

Chaque année, l’échantillon se compose des joueurs qui faisaient partie de l’effectif de la première équipe des clubs analysés au 1er octobre. De plus, ces footballeurs devaient avoir joué en championnat lors de la saison en cours ou, le cas échant, avoir disputé des rencontres dans des ligues adultes lors de chacune des deux saisons précédentes (équipes B non comprises). Les deuxièmes et troisièmes gardiens ont été inclus dans tous les cas.

Pour 2022, 12’281 joueurs répondant aux critères d’inclusion étaient actifs au sein des 477 clubs investigués, pour une moyenne de 25,7 footballeurs par équipe. Il s’agit de la valeur la plus élevée jamais enregistrée, en lien notamment avec les plus grandes possibilités de remplacements désormais à disposition des entraîneurs : cinq changements contre les trois permis avant la période COVID. Par équipe, les valeurs s’étendent de 35 joueurs pour l'AC Monza (ITA) et le HNK Rijeka (CRO) à 20 pour quatre clubs : Horsens (DEN), Maccabi Bnei Reineh (ISR), Heerenveen (NED) et Veres Rivne (UKR).

Figure 1: échantillon de l’étude (10/2022)

2. Démographie des joueurs

Le portait-type du footballeur actif au sein des 31 championnats analysés est celui d’un homme de 26 ans, mesurant un peu plus de 182 cm, présent dans la première équipe de son club d’emploi depuis deux ans et trois mois, évoluant dans 42% des cas en dehors de l’association où il a grandi (expatrié), ainsi que dans seulement 17% des cas au sein d’un club où il est resté au moins trois ans entre ses 15 et 21 ans (formé). Pour les joueurs ayant déjà connu une expérience à l’étranger (59% du total), l’âge moyen de première migration était de 21 ans et demi.

En ce qui concerne les évolutions constatées, l’âge et la taille des joueurs sont restés sensiblement les mêmes tout au long de la période couverte. La durée moyenne de permanence des joueurs dans la première équipe de leur club d’emploi a par contre diminué, à un rythme relativement rapide entre 2010 et 2017, reflétant une plus forte mobilité des joueurs, puis de manière moins marquée. La valeur mesurée en 2022 est la troisième la plus faible jamais enregistrée, le record négatif demeurant celui observé en 2017 (2,22 ans).

La part de joueurs expatriés, ayant grandi dans une autre association que celle de leur club d’appartenance et partis à l’étranger pour des raisons footballistiques, n’a cessé de s’accroître tout au long de la période : de 36,1% entre 2010 et 2013 à un record de 42,3% en 2022. Lors du dernier recensement, 58,8% des joueurs avaient déjà connu une expérience à l’étranger pendant leur carrière, contre 47,8% en 2010. Dans ce cas aussi, il s’agit d’un nouveau record. L’intensification de la mobilité internationale des joueurs se donne aussi à voir par l’évolution de l’âge moyen de première migration, qui est passé de 21,98 ans entre 2010 et 2013 à un minimum de 21,52 ans en 2022.

Figure 2: portrait démographique des joueurs (2010-2022)

Le profil démographique des joueurs assume différentes formes en fonction du poste occupé. Au niveau de l’âge, les footballeurs évoluant à des postes offensifs sont plus jeunes que ceux jouant à des postes défensifs. Malgré les nombreux jeunes troisièmes gardiens, la valeur maximale a été enregistrée au niveau de ce poste (26,60 ans), juste devant les défenseurs centraux et latéraux. Ce résultat reflète les différentes exigences sur le plan athlétique et de l’expérience requises par les différents postes. Les écarts sont encore plus marqués sur le plan de la taille : de 189,95 cm en moyenne pour les gardiens à 177,75 cm pour les milieux offensifs.

D’une manière générale, les plus fortes différences ont été mesurées entre gardiens et attaquants. Ainsi, les premiers ont la plus longue permanence moyenne dans la première équipe du club d’appartenance (2,56 ans), tandis que les seconds ont la plus faible (1,87 ans). Plus globalement, les joueurs évoluant à des postes défensifs connaissent une mobilité moins importante que leurs collègues jouant à des postes offensifs. Ces derniers sont amenés à connaître plus de clubs au cours de leur carrière.

La part d’expatriés est d’à peine plus d’un quart parmi les gardiens (27,5%), alors qu’elle frôle la moitié parmi les attaquants (49,7%). À l’inverse, la part de joueurs formés au club est presque deux fois plus importante parmi les premiers (25,3%) que les seconds (13,9%). Ces résultats indiquent que les joueurs offensifs sont non seulement plus mobiles que les footballeurs défensifs, mais qu’ils s’exportent aussi plus facilement. De plus, leur migration intervient de manière plus précoce. L’âge moyen du premier départ à l’étranger est en effet de 20,98 ans pour les attaquants et de 22,43 ans pour les gardiens.

Figure 3: portrait démographique des joueurs, par poste (10/2022)

3. Démographie des ligues

D’importantes différences dans le profil démographique des joueurs émergent aussi en prenant en compte le critère de la ligue d’appartenance. Au niveau de l’âge, environ trois ans séparent les joueurs du championnat réunissant les footballeurs les plus expérimentés, la Super League grecque (27,59 ans), de celui employant les joueurs les plus jeunes, la 1. SNL slovène (24,53 ans). Au niveau des ligues du big-5, les valeurs s’étendent de 25,97 ans pour la Ligue 1 française à 27,02 ans pour la Liga espagnole.

En ce qui concerne la taille, aucune ligue ne réunit des joueurs mesurant moins de 180 cm en moyenne. La Super League grecque se trouve dans ce cas aussi dans une position extrême. Il s’agit en effet du seul championnat avec la Ligat Ha’al israélienne où les clubs emploient des joueurs dont la taille moyenne est inférieure à 181 cm. À l’opposé, un seul championnat, la Bundesliga allemande, réunit des footballeurs mesurant en moyenne plus de 184 cm. La plus faible valeur au niveau des cinq compétitions majeures a par contre été observée en Liga espagnole : 181,24 cm, troisième valeur la plus faible dans l’absolu.

Les écarts entre championnats en termes de permanence moyenne dans la première équipe du club d’appartenance sont aussi très marqués. Trois ligues du big-5 présentent les effectifs les plus stables : la Premier League anglaise avec une permanence moyenne des joueurs de 3,10 ans, la Bundesliga allemande (3,01 ans) et la Liga espagnole (2,93 ans). Les autres championnats sont passablement distancés, avec un minimum de 1,79 ans à Chypre. Les premières divisions biélorusse et serbe complètent le podium des ligues dont les clubs disposent des effectifs les moins stables.

L’augmentation de la présence d’expatriés dans les clubs est un phénomène général. Cependant, leur taux varie toujours fortement entre ligues. Comme d’habitude, en 2022 aussi, la valeur maximale a été mesurée à Chypre (74,0%). Les expatriés constituent une majorité des effectifs dans sept autres ligues, avec la Serie A italienne présentant la valeur plus élevée du big-5 (61,7%). À l’opposé, en grande partie suite à la guerre en cours, on trouve la Premier League ukrainienne (7,9%). C’est le seul championnat où le taux d’expatriés est inférieur au cinquième.

La diminution de la part de joueurs formés au club est aussi un processus bien établi. Néanmoins, ici également, des divergences entre championnats subsistent. Les valeurs s’étendent en effet de 27,0% en Superliga danoise à 8,4% en Serie A italienne. La valeur maximale au niveau du big-5 a été mesurée en Liga espagnole : 21,7%, huitième taux le plus élevé. La Süper Lig turque et la première division chypriote font aussi partie des championnats où la part des footballeurs ayant évolué pendant au moins trois saisons entre 15 et 21 ans dans leur club d’emploi est inférieure à 10%.

Figure 4: portrait démographique des ligues (10/2022)

4. Démographie des clubs

Comme les ligues, les clubs se différencient aussi fortement du point de vue de la composition démographique de leur effectif. Les valeurs extrêmes s’écartent considérablement les unes des autres au niveau de tous les indicateurs. En ce qui concerne l’âge, par exemple, les Slovaques de MŠK Žilina réunissent en leur sein des joueurs en moyenne âgés de presque dix ans de moins que les Chypriotes d’Anorthosis : 21,09 ans contre 30,32 ans. Les différences peuvent être considérables aussi entre clubs d’un même championnat, comme par exemple en Ligue 1 française (5,41 ans).

Sur le plan de la taille, l’équipe avec les plus petits joueurs est Volos, en Grèce (177,35 cm), alors que celle réunissant les footballeurs les plus grands est le FC Köln, en Allemagne (186,15 cm), suivie par deux autres clubs de Bundesliga : Mainz et Stuttgart.

Beaucoup d’équipes compétitives présentent les valeurs les plus élevées au niveau de la permanence moyenne des joueurs, ce qui traduit une planification de l’effectif dirigée vers le long terme. La valeur record a été enregistrée pour Real Madrid (5,08 ans), tandis que les Chypriotes de Karmiotissa se trouvent à l’autre extrême (1,12 ans).

Sur les 477 équipes analysées, 171 se composent d’une majorité de footballeurs importés de l’étranger, avec un maximum de 91,3% pour les Chypriotes de Pafos (21 joueurs sur 23). À l’opposé, seulement dix équipes, dont les Basques d’Athletic Club, n’ont aucun joueur expatrié dans leur effectif.

Le nombre d’équipes sans joueurs formés au club est par contre bien plus important : trente clubs, dont quatre du big-5 (Getafe, Cremonese, Salernitana et Brentford). Seulement huit équipes sont composées par contre par une majorité de joueurs issus des filières de jeunes, dont deux du big-5 (Real Sociedad et Athletic Club) et une engagée en Ligue des champions (Shakhtar Donetsk).

Figure 5: portrait démographique des clubs (10/2022)

5. Conclusion

Menée chaque année à partir d’une même méthodologie, l’analyse démographique des effectifs permet de suivre l’évolution du marché de travail des footballeurs. En 2022, des nouveaux records ont été enregistrés en ce qui concerne la part de footballeurs expatriés dans les équipes (42,3% malgré la forte baisse constatée en Ukraine) et, négativement, de celle des joueurs formés au club (17,0%). Dans les deux cas, l’inversion de tendance observée suite à la pandémie n’aura donc été qu’un feu de paille.

Un nouveau record dans le taux de joueurs importés a notamment été battu en Serie A italienne (61,7%) et en Ligue 1 française (41,9%). Dans ce dernier championnat, la part de joueurs formés au club a aussi atteint un minimum historique (14,3%), corollaire d’une stratégie de plus en plus axée sur le « trading » de joueurs plutôt que leur promotion depuis les filières de formation. Néanmoins, c’est en Italie que les clubs emploient la plus faible proportion de footballeurs formés par leurs soins (8,4%), ce qui reflète le peu d’importance donnée à la formation dans la Péninsule.

Parmi les nombreux résultats intéressants de l’étude, il y a aussi la première place du tenant du titre en Ligue des champions, le Real Madrid, dans le classement des clubs les plus stables. En moyenne, un joueur de Real Madrid est présent depuis 5,08 ans dans l’effectif de la première équipe. La présence aux premières places de nombreux autres clubs de premier rang (Liverpool, RB Leipzig, Athletic Club, Bayern Munich, Manchester City, etc.) montre l’importance de planifier à long terme pour optimiser les résultats.