1. Introduction
Ce Rapport Mensuel analyse les flux financiers liés aux transferts des joueurs de football à l’échelle globale lors des dix dernières années (entre 2014 et 2023). Il présente l’évolution de l’argent engagé par les clubs, la répartition des dépenses selon l’âge, le poste des joueurs concernés ou encore la zone géographique des équipes de recrutement, ainsi que les bilans économiques des opérations de transfert, tant à l’échelle des ligues que des clubs.
Les chiffres publiés incluent les indemnités de transfert fixes, les éventuels bonus (indépendamment de leur payement effectif), ainsi que les sommes versées dans le contexte de prêts payants. Les montants négociés dans le cadre de prêts avec obligation d'achat sont inclus dans le décompte pour l’année du transfert. Dans la limite des informations disponibles, les données sur les bénéficiaires prennent en compte les éventuelles sommes à la revente négociées par les clubs précédents.
2. Investissements à l'échelle mondiale
L’année 2023 aura été celle de tous les records. Pour la première fois dans l’histoire, les investissements en indemnités de transfert à l’échelle mondiale ont dépassé les 10 milliards d’euros. Alors que la période de transfert n’est pas encore terminée dans tous les pays, les dépenses atteignent déjà €12,4 milliards, une somme qui dépasse de 33% celle enregistrée en 2022 (+35% sans bonus) et de 24% supérieure à celle du précédent record de 2019 (+20% sans bonus).
Figure 1: indemnités de transfert engagées par les clubs, bonus compris (2014-2023)
En milliards d'euros
Près de trois quarts des investissements ont concerné des transferts réalisés entre clubs de différentes associations. Ce taux n’a été que d’environ deux tiers lors de la période entre 2014 et 2022, ce qui reflète une double tendance: une augmentation de la part relative des transferts internationaux parmi les transactions payantes (environ 63% en 2023 contre 58% entre 2014 et 2022) et un accroissement de l’écart entre le niveau moyen des indemnités (ratio de 1,52 entre transferts internationaux et nationaux en 2023 contre 1,33 entre 2014 et 2022).
Dans un contexte marqué par peu de transparence, ces chiffres constituent des estimations aussi proches que possibles de la réalité. Elles ont été réalisées à partir des données officielles publiées par FIFA TMS pour les transferts internationaux et les propres recherches de l’Observatoire du football CIES. Les sommes des transferts payants pour lesquels aucun chiffre n’a été publié ont été extrapolées par le biais d’un modèle statistique estimant la valeur des joueurs.
De plus, dans ce chapitre, un correctif a été appliqué au niveau des montants pour les transferts nationaux sur la base d’un ratio annuel calculé en comparant les chiffres de FIFA TMS avec ceux récoltés par nos soins à l’échelle internationale (en moyenne 1,08 sur l’ensemble de la période avec une réduction des écarts au fil des ans). Pour 2023, le correctif se base sur le ratio mesuré en 2022, à savoir 1,06.
La hiérarchie des indemnités de transfert entre associations nationales donne à voir le rôle-clé joué par l’Angleterre dans le marché mondial des footballeurs. Lors de la dernière décennie, les clubs anglais ont engagé pas moins de €25,36 milliards: 32% des investissements à l’échelle mondiale et 2,3 fois plus que les équipes du deuxième pays le plus actif, l’Italie. Cette dernière est la seule association aux dix premiers rangs dont les clubs ont investi presque autant sur le plan national qu'international.
Figure 2: indemnités de transfert engagées par les clubs, par association (2014-2023)
En milliards d'euros
Malgré la très forte baisse des investissements à partir de 2018 (surtout depuis 2020), la Chine demeure le pays extra-européen ayant le plus dépensé en indemnités de transfert lors de la dernière décennie, devant l’Arabie Saoudite, pays ayant connu une évolution opposée à celle observée en Chine, le Mexique, où la part des sommes investies nationalement est aussi conséquente, puis le Brésil et les États-Unis, où le football connaît un développement constant.
Les clubs anglais sont aussi - et de loin - ceux ayant engagé le plus d’argent sur le marché des transferts en 2023: 32% du total et 3,5 fois plus que les équipes de la deuxième association la plus active, la France. En valeur absolue, deux pays sortent du lot en ce qui concerne l’accroissement des dépenses entre 2022 et 2023: l’Angleterre (+€1'314 millions) et l’Arabie Saoudite (+€902 millions). En valeur relative, par contre, ce dernier pays se détache nettement, ce qui traduit le projet de faire de la Saudi Pro League l’un des championnats les plus compétitifs au monde.
Figure 3: indemnités de transfert engagées par les clubs, par association (2023)
En millions d'euros
3. Répartition des investissement
Les clubs sont de plus en plus enclins à engager des indemnités de transfert pour des jeunes joueurs. La part des sommes investies pour des footballeurs de 21 ans ou moins est en effet passée de 23,6% lors de la période entre 2014 et le dernier mercato avant la pandémie à 26,9% après la crise sanitaire, avec un pic de 29,6% en 2023. Le pourcentage d’investissements pour la tranche d’âge des joueurs entre 22 et 25 ans a aussi augmenté (+3,3%), tandis que celui pour les footballeurs âgés entre 26 et 29 ans a fortement diminué (-7,0%).
Figure 4: indemnités de transfert engagées par les clubs, par catégorie d’âge
Hiver 2014-hiver 2020 vs été 2020-été 2023
L’analyse par poste montre que les attaquants sont toujours les joueurs pour lesquels les clubs engagent le plus d’indemnités de transfert. Une baisse dans la part relative des sommes investies pour les footballeurs évoluant à ce poste a néanmoins été observée après la crise sanitaire (-3,7%), au profit des défenseurs (+1,2% pour les centraux et +0,3% pour les latéraux) et des milieux-de-terrain (+2,1%). Ce résultat indique une plus forte inclusion de tous les postes dans le commerce des joueurs.
Figure 5: indemnités de transfert engagées par les clubs, par poste
Hiver 2014-hiver 2020 vs été 2020-été 2023
L’étude de l’évolution des sommes investies selon la zone géographique des clubs recruteurs montre que la crise sanitaire est allée de pair avec le renforcement de la domination des clubs de Premier League anglaise. La part de ces derniers dans les investissements globaux est en effet passée de 25,3% jusqu’à la pandémie à 34,2% par la suite, avec un record de 35,2% en 2023. Cette augmentation s’est surtout opérée au détriment des autres ligues du big-5 européen (-9,7%).
Figure 6: indemnités de transfert engagées par les clubs, par zone
Hiver 2014-hiver 2020 vs été 2020-été 2023
4. Bilans par ligue
L’analyse des bilans financiers nets par ligue pour les opérations de transfert réalisées lors de la dernière décennie donne de nouveau à voir l’importance de la première division anglaise dans le marché mondial des footballeurs. Les clubs de Premier League ont en effet le solde le plus négatif avec des investissements dépassant les €20 milliards, compensés seulement à moitié par des recettes, pour un déficit net de plus de €10 milliards. Il s’agit d’un bilan négatif sans commune mesure avec celui mesuré pour n’importe quelle autre ligue.
Figure 7: bilans nets les plus négatifs sur les opérations de transfert, par ligue (2014-2023)
En milliards d'euros
À l’opposé de la Premier League anglaise, la Primeira Liga portugaise présente le meilleur bilan net sur les opérations de transfert conclues lors de la dernière décennie: +€2.23 milliards. Même s'il faut le relativiser par les commissions versées aux agents qui ne sont pas incluses dans les calculs, ce solde reflète la capacité des équipes lusitaniennes à générer des recettes par la valorisation de joueurs sur le marché des transferts. Le Brasileirão est le deuxième championnat dont les clubs ont réalisé le plus bénéfices nets sur les transferts lors des dix dernières années, juste devant l’Eredivisie néerlandaise.
Figure 8: bilans nets les plus positifs sur les opérations de transfert, par ligue (2014-2023)
En milliards d'euros
La deuxième division anglaise a le bilan net le plus positif pour les opérations réalisées en 2023: +€348 millions. Ce solde est notamment lié aux transferts richement payés de joueurs de clubs fraîchement relégués de Premier League. Le Championship devance la première division portugaise (+298 M) et la Serie A italienne (+227 M), où les clubs sont de plus en plus dépendants des recettes de transfert. À l’opposé, parmi les déficitaires, il y a de nouveau la Premier League (-2,20 milliards), loin devant la Saudi Pro League (-€861 millions).
Figure 9: bilans nets les plus positifs sur les opérations de transfert, par ligue (2023)
En millions d'euros
5. Bilans par club
Avec €2,64 milliards engagés lors de la dernière décennie, dont plus d’un milliard depuis son rachat par un consortium américain juste avant le mercato d’été 2022, Chelsea FC est le club ayant investi le plus d’argent en indemnités de transfert. Bien qu’en n’ayant engagé «que» €1,96 milliards, Manchester United présente de loin le solde le plus négatif (-€1,40 milliards), devant Chelsea (-€1,03 milliards) et le Paris St-Germain (-€1,01 milliards). Pour 2023 uniquement, les plus gros déficits ont été réalisés par Chelsea (-€557 millions), Al-Hilal (-€341 m) et Arsenal (-€217 m).
Figure 10: bilans nets les plus négatifs sur les opérations de transfert, par club (2014-2023)
En millions d'euros
Figure 11: bilans nets les plus négatifs sur les opérations de transfert, par club (2023)
En millions d'euros
Trois clubs portugais figurent aux six premiers rangs des équipes ayant réalisé les meilleurs bénéfices nets sur les transferts des dix dernières années: Benfica (premier, +€764 millions), Sporting CP (cinquième, +€376 M) et Porto (sixième, +€352 m). Ajax, RB Salzburg et Monaco complètent le top 5. Pour 2023 uniquement, le trio de tête se compose de Villarreal (+€129 millions), Benfica (+€114 m) et du Stade Rennais (+€103 m).
Figure 12: bilans nets les plus positifs sur les opérations de transfert, par club (2014-2023)
En millions d'euros
Figure 13: bilans nets les plus positifs sur les opérations de transfert, par club (2023)
En millions d'euros
6. Conclusion
Dans la lignée de l’augmentation enregistrée en 2022 après deux années de baisse consécutive dans le contexte de la crise sanitaire, 2023 a marqué un nouveau tournant dans l’argent engagé par les clubs sur le marché des transferts. Dopé notamment par la croissance économique de la Premier League anglaise et les investissements de fonds américains ou saoudiens, ce dernier a atteint des niveaux historiquement élevés: €12,42 milliards contre €9,98 lors de la précédente année record de 2019.
Les tendances observées après la pandémie se sont confirmées, voire renforcées, en 2023, avec relativement plus d’argent investi par les clubs de Premier League (34% du total depuis l’été 2020 contre 25% auparavant) et sur des joueurs de 25 ans ou moins (74% contre 67% précédemment). Cette dernière tendance reflète l’intégration de la réalisation de plus-values sur des transferts dans le modèle économique d’un nombre croissant de clubs, y compris au sein de championnats auparavant dominants comme la Liga espagnole et la Serie A italienne.
Le marché des transferts des footballeurs est ainsi de plus en structuré autour d’un faible nombre de clubs «acheteurs», avec les équipes de la Premier League anglaise en tête de file, et un nombre bien plus conséquent de clubs «vendeurs». Ces derniers ciblent leur recrutement sur des joueurs en devenir qu’ils auront tendance à céder rapidement en cas de bonnes performances dans un contexte très spéculatif impliquant une mobilité de plus en précoce et intense des joueurs à l’échelle mondiale.