1. Introduction

Grâce aux nouvelles données game intelligence produites par notre partenaire SkillCorner, il est désormais possible d’appréhender l’ensemble des types de courses réalisées par les joueurs. Dans ce rapport, nous nous intéressons plus spécifiquement aux courses effectuées par les footballeurs lorsqu’un coéquipier est en possession du ballon, dans le but de se positionner pour le recevoir, définies comme ‘courses d’appel’.

Si l’attention statistique est généralement focalisée sur le porteur du ballon, le positionnement et les mouvements des coéquipiers sont aussi essentiels pour analyser le contexte de l’action et, plus globalement, le style de jeu à la fois des joueurs faisant les appels que de leurs équipes. Sur ce dernier plan, l’étude du nombre et de la proportion des différents types de courses d’appel permet d’identifier les stratégies dominantes dans l’animation du jeu offensif.

L’échantillon analysé dans ce Rapport Mensuel se compose des statistiques récoltées par SkillCorner sur 3'261 matchs disputés lors des saisons 2023 ou 2023/24 dans 27 ligues réparties entre Europe et Amériques comme détaillé dans la Figure 1.

Figure 1: échantillon de l’étude

2. Une typologie des courses d’appel

Les données de SkillCorner classent les courses d’appel effectuées par les joueurs en dix catégories, regroupées en huit ensembles dans le cadre de ce rapport comme spécifié ci-dessous. Une course d’appel est définie comme une période de plus de 0,7 secondes pendant laquelle le joueur dépasse 15 km/h et représente une option de passe pour le coéquipier en possession de la balle.

Pour être considérée en tant que telle, l’option de passe implique une forte probabilité que le joueur effectuant la course d’appel puisse être choisi par le porteur de balle comme récepteur de la passe compte-tenu de leur position et orientation respectives. Il en résulte qu’une partie des courses effectuées par les coéquipiers du porteur du ballon ne sont pas considérées comme des appels.

Les huit catégories utilisées dans notre analyse sont les suivantes (voir le glossaire SkillCorner accessible depuis ce lien.)

(1) Course d’appel en arrière: le joueur offrant l’option de passe revient vers son camp pour ouvrir un angle de passe au porteur du ballon et créer une situation de supériorité dans la possession (dropping off en anglais selon la terminologie SkillCorner).

(2) Course d’appel court: le joueur offrant l’option de passe se dirige vers le porteur du ballon pour réduire la distance de passe. Le mouvement du joueur est principalement vers son propre camp, mais peut s’effectuer aussi dans d’autres directions (coming short).

(3) Course d’appel latéral: le joueur offrant l’option de passe effectue un appel dans le sens de la largeur du terrain, en partant du centre vers la périphérie (pulling wide et pulling half-space).

(4) Course d’appel de superposition: Le joueur offrant l’option de passe court derrière ou devant le porteur du ballon en effectuant une superposition en direction du but adverse (overlap et underlap).

(5) Course d’appel en soutien postérieur: le joueur offrant l’option de passe court derrière le porteur du ballon lors d’une phase de transition offensive (support run).

(6) Course d’appel en soutien antérieur: le joueur offrant l’option de passe court au-devant du porteur du ballon en direction du but adverse mais ne brise pas la dernière ligne défensive (run ahead of the ball).

(7) Course d’appel en profondeur: le joueur offrant l’option de passe prend l’espace derrière la dernière ligne défensive en direction du but adverse (in behind).

(8) Course d’appel en réception de centre: le joueur offrant l’option de passe court vers le but pour réceptionner un centre réel ou potentiel (cross receiver).

Comme signalé plus haut, toutes ces courses d’appel sont réalisées lorsque l’équipe est en possession de la balle. Elles ne prennent en compte que l’activité offensive et non les courses effectuées lors des phases défensives. Elles ne présument donc pas de l’activité physique totale, mais plutôt du contexte qui entoure le joueur en possession du ballon, ce qui renvoie aux stratégies tactiques offensives déployées par les équipes.

3. Répartition des courses suivant les postes

Lors des matchs analysés, les joueurs ont en moyenne effectué 15.1 courses d’appel par match correspondant à la définition retenue. Cette valeur varie suivant les postes, avec un maximum de 19.2 pour les milieux offensifs et un minimum 5.5 pour les défenseurs centraux. Ces chiffres traduisent les différentes implications des joueurs dans l’animation du jeu offensif selon le poste occupé.

Figure 2: nombre moyen de courses d’appel par 90’, par poste et par joueur

Les huit catégories de courses d’appel utilisées ont une répartition hétérogène. Avec 21,7% des événements, les courses d’appel en soutien antérieur au porteur du ballon (au-devant de ce dernier sans briser la ligne défensive adverse) sont les plus nombreuses, suivies par celles en soutien postérieur (derrière le porteur lors d’une transition offensive) avec 17,5%. A l’opposé, les courses d’appel de superposition (6,4%) et latéral (9,0%) sont les moins fréquentes.

Ces variations sont à la fois liées aux différentes opportunités de course durant les moments de possession et au nombre de joueurs impliqués. En effet, alors qu’une course d’appel de superposition ou latéral ne concerne généralement qu’un seul équipier à la fois, les courses d’appel en soutien antérieur ou postérieur concernent souvent plusieurs joueurs simultanément.

Figure 3: distribution des courses d’appel, par catégorie

La répartition des courses d’appel varie fortement selon le poste des joueurs. Par exemple, plus de la moitié des mouvements d’appel faits par les défenseurs centraux sont en arrière, alors que les défenseurs latéraux sont relativement plus impliqués dans les courses d’appel en soutien postérieur et en superposition. A l’inverse, les avant-centres privilégient les courses d’appel en profondeur (au-delà de la ligne défensive) et en soutien antérieur (en-deçà), ainsi que celles à la réception de centres.

Figure 4: Types de courses d’appel, par poste

4. Des ligues et équipes aux styles différents

Au-delà des différenciations logiquement observées en fonction du poste occupé par les joueurs, des spécificités dans la répartition entre les différents types de courses d’appel existent aussi en fonction des ligues et équipes. Les différences apparaissent surtout en ce qui concerne deux grandes catégories : les courses pour solliciter des appels dans les pieds (en arrière, court et latéral) et les courses pour solliciter des appels dans l’espace (en soutien antérieur, en soutien postérieur, en profondeur, en réception de centre et en superposition).

Les cinq types de courses d’appel dans l’espace représentent 72,2% du total : entre plus des trois quarts pour les équipes dont les joueurs sont les plus enclins à en faire et environ deux tiers pour les clubs où les footballeurs en font relativement le moins. La Figure 5 présente la proportion des différentes catégories de course selon le rang occupé par les équipes dans le classement des clubs dont les joueurs font le plus d’appels dans l’espace.

Figure 5: distribution des courses, par catégorie selon le rang dans la hiérarchie des clubs les plus enclins aux courses d’appel dans l’espace

A l’échelle des 27 ligues analysées, le maximum de courses d’appel dans l’espace a été mesuré pour la Liga MX mexicaine (74,9%), tandis que le minimum a été enregistré en Serie A italienne (69,2%). Ces différences reflètent la distinction entre les championnats où une majorité d’équipes suit un schéma tactique d’animation offensive basé sur un jeu de projection (avec plus d’appels vers l’avant) et les ligues où plus de clubs adoptent une stratégie d’attaque basée plutôt sur un jeu de position (avec plus d’appels courts, en arrière ou latéraux).

Figure 6: % de courses d’appel dans l’espace, par ligue

Plus spécifiquement, la Figure 7 illustre la répartition entre les huit types de courses d’appel pour les équipes de la ligue dont les joueurs font le plus d’appels dans l’espace (Liga MX au Mexique) et celle où les footballeurs en font relativement le moins (Serie A en Italie). Les plus grosses différences concernent les courses d’appel court (+2,9% en Italie) et les courses d’appel en support postérieur (+2,8% au Mexique).

Figure 7: distribution des courses d’appel par catégorie : Série A (ITA) vs Liga MX (MEX)

Figure 7: distribution des courses d’appel, par catégorie

A l’échelle des clubs, les valeurs maximales au niveau de la proportion de courses d’appel dans l’espace (au-devant du porteur) ont été observées pour Cercle Brugge (85,8%), Querétaro FC (82,9%) et Dundee FC (82,0%), qui constituent ainsi des archétypes du jeu de projection.

Figure 8: plus forts pourcentages de courses d’appel dans l’espace, par club

A l’opposé, les plus forts pourcentages de courses d’appel dans les pieds (derrière ou latéralement au porteur) ont été mesurées pour Burnley FC (39,3%), Real Sociedad (38,8%) et Eintracht Frankfurt (38,5%), ces équipes représentant donc des archétypes du jeu de position.

Figure 9: plus forts pourcentages de courses d’appel dans les pieds, par club

Plus en détails, la Figure 10 montre les différences dans la répartition des courses entre Séville FC, une équipe dont les joueurs font proportionnellement beaucoup d’appels dans l’espace, et Manchester City, un club où les joueurs sont plus enclins à faire des appels dans les pieds. Dans ce cas, les plus grands écarts ont été mesurés pour les courses d’appel court (+10,3% pour Manchester City) et les courses d’appel en réception de centre (+7,7% pour Séville).

Figure 10: distribution des courses d’appel par catégorie: Sevilla FC vs Manchester City

Figure 10: distribution des courses d’appel par catégorie: Sevilla FC vs Manchester City

5. Conclusion

L’analyse menée dans ce rapport montre tout l’intérêt des données contextuelles dans la qualification du jeu des équipes. Les statistiques sur les différents types de courses d’appel ne sont bien sûr pas indépendantes des événements observés en référence au porteur du ballon, comme le nombre de passes, de tirs ou autres interceptions, mais elles permettent de décrire de manière encore plus fine les habitudes des équipes dans l’animation de leur jeu offensif, avec un avantage certain notamment en termes de définition d’un style de jeu et de préparation tactique des rencontres.

Associées aux données physiques propres aux joueurs, comme les vitesses de pointe, le nombre d’accélérations ou encore les distances parcourues, les statistiques "game intelligence" comme celles sur les courses d’appel sont aussi très précieuses sur un plan individuel. Elles permettent en effet de dresser un portrait fiable et complet des footballeurs, avec des multiples applications possibles s’étendant de la mesure de la performance et son perfectionnement, jusqu’aux choix et stratégies de recrutement.

Cette première analyse des données "game intelligence" de la société SkillCorner dans le cadre d’un Rapport Mensuel ouvre donc de nouvelles potentialités et perspectives pour la compréhension du jeu tant à l’échelle des joueurs que des équipes. Nous serons avides de continuer à les exploiter et diffuser auprès du plus grand nombre de personnes dans les périodes à venir.