1. Introduction
Parmi leurs nombreuses utilités, les données game intelligence produites par la société française SkillCorner permettent d’analyser les performances des joueurs lorsqu’ils sont soumis à différents niveaux de pression de la part des adversaires. Un joueur est considéré sous pression quand il est en possession de la balle et a au moins un adversaire proche de lui cherchant à la récupérer ou à limiter ses options de jeu.
Pour chacune de ces situations, SkillCorner détermine l’intensité de la pression en prenant en compte la vitesse des joueurs l’exerçant, la distance qui les sépare du joueur en possession et l’angle de leur mouvement. Dans ce rapport, nous nous focalisons sur la pression à haute intensité, à savoir celle exercée avec le plus de vitesse et la plus grande proximité de l’adversaire (plus de renseignements ici).
La faculté à garder la balle est bien évidemment liée au talent individuel du joueur (niveau technique, orientation dans l’espace, perception du jeu, etc.), mais aussi au style de jeu de l’équipe d’emploi (proximité des co-équipiers, options de passe, compacité, etc.). Indépendamment de ses qualités intrinsèques, un joueur soumis à la pression et esseulé aura plus de mal à conserver la balle qu’un collègue disposant de co-équipiers proches et démarqués.
Ce rapport contextualise les données SkillCorner relatives à la pression sur la base de modèles statistiques mettant en exergue le lien entre les styles de jeu des équipes, le niveau de pression subie par le joueur et la capacité à conserver la balle. Pour ce faire, nous nous sommes basés sur un échantillon de 7'050 matchs disputés lors des saisons 2023 ou 2023/24 (jusqu’au 4 mars 2024) dans 28 ligues réparties entre Europe et Amériques.
Figure 1: échantillon de l'étude
2. Fréquence des pressions subies
Lors des saisons 2023 ou 2023/24, les joueurs de champ des équipes des 28 ligues étudiées ont en moyenne subi 9,2 pressions à haute intensité par match. Les plus fortes valeurs ont été mesurées pour des équipes dominantes, produisant un jeu basé sur la possession de la balle et la pression collective. En tête de liste, nous trouvons Manchester City (15,2 par match), suivi par Bayer Leverkusen (13,9) et Columbus Crew (13,5).
Figure 2: plus grand nombre de pressions à haute intensité subies par match et par joueur
28 ligues, saison 2023 ou 2023/24 jusqu'au 04/03/2024
Comme évoqué plus haut, le nombre de pressions à haute intensité subies par équipe est fortement dépendant du style de jeu pratiqué. Quatre variables renvoyant à ce dernier expliquent 67% des différences observées entre les équipes selon le modèle de régression bâti à cet effet. Ce dernier indique que les équipes subissant une forte pression pratiquent un jeu court, réussissent beaucoup de passes et de dribbles (données Wyscout) et effectuent beaucoup de sprints à haute vitesse (>25 km/h pendant au moins 0,7 secondes, données SkillCorner).
Figure 3: modèle de régression pour expliquer le nombre de pressions à haute intensité subies par les équipes
Au sein d’une même équipe, la pression subie par les joueurs diverge passablement selon le poste qu'ils occupent. Les valeurs par poste indiquées dans la Figure 4 font référence aux moyennes et médianes observées pour 5’101 footballeurs ayant joué au même poste pendant au moins 1’000 minutes au sein des 28 ligues étudiées durant la période considérée.
Les défenseurs centraux subissent en moyenne le moins de pressions à haute intensité par match (7,6). Avec une valeur moyenne de 9,3, les avant-centres sont davantage mis sous pression, mais ce chiffre reste faible au regard des autres postes, principalement parce qu’ils touchent moins de ballons que leurs coéquipiers. Les défenseurs latéraux sont en moyenne confrontés à 10,6 pressions à haute intensité par rencontre, une valeur inférieure aux trois postes les plus exposés : les milieux défensifs (12,3), les ailiers (13,7) et les milieux offensifs (15,6).
Figure 4: nombre de pressions à haute intensité subies par match, par poste
3. Conservation de la balle
Les données SkillCorner permettent également de mesurer la capacité des joueurs à faire face à la pression des adversaires, notamment par leur faculté à garder la balle. Soit le joueur est toujours en maîtrise de celle-ci, par exemple grâce à un dribble réussi, soit son équipe garde la possession à la faveur d’une passe. L’indicateur du pourcentage de conservation sous forte pression indique donc la part des ballons conservés par l’équipe par rapport au nombre de pressions à haute intensité reçues.
Figure 5: corrélation entre nombre pressions à haute intensité subies et pourcentage de conservation de la balle, par équipe
Le classement des équipes conservant le mieux la balle est assez proche de celui des équipes subissant le plus de pressions à haute intensité, les deux variables étant fortement corrélées avec un coefficient de détermination de 0.5 (Figure 5). Dans les deux cas, il s’agit donc d’indicateurs reflétant le style de jeu pratiqué par les clubs. Cinq équipes du big-5 européen présentent les pourcentages de rétention de la balle sous haute pression les plus élevés, avec un record de 84,2% pour Manchester City, suivi par Real Madrid, Paris St-Germain, Arsenal et Bayer Leverkusen (Figure 6).
Figure 6: plus forts pourcentages de conservation de la balle après une pression à haute intensité, 28 ligues
28 ligues, saison 2023 ou 2023/24 jusqu'au 04/03/2024
La capacité à conserver la balle dépend aussi du poste des joueurs sur le terrain. Les valeurs les plus élevées ont été enregistrées pour les milieux, que ce soit défensifs (76,5%) ou offensifs (72,9%), et les défenseurs centraux (70,7%). A l’opposé, la plus faible proportion a été mesurée pour les avant-centres (66,8%), en lien avec la zone couverte et les conditions de réception des passes. Pour les postes défensifs, nous remarquons une plus grande hétérogénéité dans les valeurs (Figure 8), ce qui renvoie aux rôles plus ou moins offensifs attribués à ces joueurs selon les équipes, notamment au niveau des latéraux.
Figure 7: pourcentage de conservation de la balle suite à des pressions à haute intensité, par poste
Figure 8: distribution statistique du % de conservation de la balle suite à des pressions à haute intensité, par poste
4. Modélisation à l’échelle individuelle
A l’échelle des joueurs, au-delà des statistiques de conservation brutes, il est particulièrement utile de prendre en compte le contexte dans lequel ils évoluent, tant par rapport au style de jeu de l’équipe d’emploi (défini selon le nombre de pressions à haute intensité subies par match), que par rapport au poste occupé. Cela permet de mieux évaluer et comparer leurs performances.
Le modèle statistique multivarié développé à cet effet, qui inclut 6’444 joueurs actifs au sein des 28 ligues analysées lors de la saison prise compte et ayant subi au moins 100 actions de forte pression pour un même poste, explique 38% des écarts de valeurs observés entre les joueurs. Toutes les variables considérées sont fortement significatives.
Figure 9: modèle de régression pour expliquer le pourcentage de conservation de la balle des joueurs suite à des pressions à haute intensité
Nous avons appliqué ce modèle aux 7'633 joueurs des ligues étudiées ayant subi au moins 80 pressions de forte intensité et calculé une valeur théorique au prorata des différents postes occupés. Cela nous a permis d’obtenir, pour chaque joueur, une valeur résiduelle qui représente l’écart à la valeur théorique. Plus cette valeur est élevée, plus le joueur aura un pourcentage de conservation de balle supérieur à celle attendue compte tenu de la pression subie par son équipe et son poste sur le terrain.
Les Figures 10a à 10f présentent les résidus de conservation de la balle sous haute pression les plus positifs par poste. Notre analyse met notamment en exergue le Croate Emir Dilaver (HNK Rijeka) parmi les défenseurs centraux, Márcio Rafinha (São Paulo FC) pour les défenseurs latéraux, Sergiy Rybalka (LNZ Cherkasy) pour les milieux centraux ou défensifs, Caleb Zady Sery (SM Caen, transféré à FK Vojvodina) pour les milieux offensifs, Hugo Vallejo (Huesca SD) pour les ailiers ou encore Dominique Badji (FC Cincinnati, transféré à Bandirmaspor) pour les avant-centres.
Figure 10: résidus de conservation de la balle sous haute pression les plus positifs, selon le poste
5. Conclusion
La fréquence à laquelle les joueurs sont confrontés à des pressions à haute intensité dépend fortement du style de jeu pratiqué par leurs équipes. Plus ces dernières adoptent un jeu court et élaboré, favorisant la possession, plus leurs joueurs seront exposés à des situations de forte pression de la part des adversaires.
De même, une corrélation existe entre le nombre de pressions à haute intensité subies en moyenne par une équipe et la proportion de conservation de la balle. Ce résultat reflète l’importance du rôle du collectif dans les performances individuelles Les joueurs des équipes dominantes ne sont en effet pas seulement particulièrement doués, mais ils évoluent aussi dans un contexte propice à la pleine expression de leurs qualités.
L’analyse des résidus du modèle statistique développé en tenant en compte du style de jeu des équipes et du poste des joueurs afin d’expliquer la capacité de ces derniers à conserver la balle sous haute pression met en exergue des footballeurs performant mieux qu’attendu. Cette approche est particulièrement utile à des fins de détection pour cibler des recrues dont les dispositions permettent d’envisager une intégration réussie à un niveau sportif supérieur.